La nécessité et l’urgence de certains moments crée des situations de force et de résilience qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer. L’Histoire est truffée et parsemée d’évènements de cohésion et d’union qui fait des petites victoires les premières lueurs d’une victoire plus grande et plus belle qui a marqué notre temps. C’est pour cela que je souhaite partager un moment que l’Histoire ne doit pas oublier.
Un moment de cohésion a particulièrement marqué mon attention ; déjà par le fait qu’il est très connu, mais aussi car il est le symbole et un rappel fort que l’Union fait la force dans tous les cas. Cet évènement s’est produit dans les heures décisives les plus importantes de la Seconde Guerre Mondiale. Je parle ici du discours du 4 juin 1940, intitulé « We shall never surrender » par le fraîchement élu Winston Churchill en tant que Premier Ministre aux commandes du Royaume-Uni.
Dans cet article, nous allons décortiquer comment ce discours a été un tournant majeur dans la situation de guerre et en quoi il relève de la première étape dans le redressement des Alliés vers la Victoire en 1945. Mais pour commencer, un peu de remise en contexte.
Situation de guerre depuis septembre 1939
1er septembre 1939, Invasion de la Pologne
Juin 1940 est une année tragique pour la France et l’Angleterre, qui se pensaient à l’abri d’Hitler grâce aux Accords de Munich conclu le 30 septembre 1938 garantissant la paix et la stabilité de la région Européenne. Tout semblait pourtant ficelé par cet accord international, mais tout changea lorsque le chancelier allemand décide d’envahir la Pologne le 1er septembre 1939 et de lancer ses colonnes blindées en direction de Varsovie grâce à sa Blitzkrieg, qui est la nouvelle tactique de combat de l’état-major, prenant de court l’armée Polonaise.
L’avancée allemande est fulgurante, cela se compte en jours et semaines. Le 15 septembre, 10 jours après le début des opérations, la capitale polonaise est investie par l’armée Allemande, suite a de très fortes pressions de l’artillerie. Ses derniers défenseurs se rendent le 27 septembre et la Pologne capitule le 28 septembre.
10 mai 1940, Invasion de la France
Ensuite, tout s’enchaine sans discontinuer. Le 10 mai 1940, l’Allemagne lance l’opération Fall Gelb, ou Plan Manstein. Ce plan était en fait le plan de guerre prévu pour la campagne de France. Les Allemands passent à l’action à nouveau et réussissent sans contrainte à contourner la Ligne Maginot par les Ardennes et à enfoncer les lignes françaises. A partir de là, la situation est très critique pour l’Angleterre qui sent également qu’elle sera le prochain pays sur la liste.
En quelques jours, les troupes allemandes ont rapidement avancé, surpassant les forces alliées beaucoup moins organisées et moins armées par cet assaut soudain aux Pays-Bas, les contraignant ainsi à évacuer le pays et à chercher une position de repli stratégique. Les forces alliées se sont repliées sur la rive française de la Meuse et dans le nord de la France afin de toujours réaliser une défense.
En moins d’un mois, l’armée allemande va enfoncer le front, perçant à Sedan pour terminer aux portes de Dunkerque, là où les restes de l’armée alliée encerclée vont tenter de sauver ce qui peut l’être. La situation est catastrophique. Après avoir réussi à percer le front français à Sedan, les panzers allemands se sont précipités vers les côtes de la Manche pour s’arrêter à Dunkerque le 20 mai 1940.
26 mai 1940, la Grande Bretagne sur la sellette à Dunkerque aux côtés des Français
Le 26 mai 1940, les Britanniques et Churchill lancent l’opération Dynamo : une immense opération de sauvetage des troupes bloquées à Dunkerque et qui ne peuvent plus évacuer. Contre toute attente, Dynamo est la plus grande opération de sauvetage de l’Histoire avec 200 gros navires et 700 petits yachts et vedettes qui vont effectuer pour certains plusieurs dizaines de d’aller-retour entre les gros navires au large et les plages afin d’assurer un grand nombre de sauvetage. Tout cela s’est déroulé sous le feu de la Luftwaffe et de l’artillerie déjà installée à Calais, en nombre.
Au fur et à mesure, de plus en plus de soldats furent sauvés : le premier jour, 7 669 hommes ont pu rejoindre un port allié, 17 804 le second, 47 310 le troisième, 53 823 le quatrième. Aujourd’hui, on estime que plus de 338 000 soldats furent évacuées et sauvés des plages et du port de Dunkerque.

Cette opération est profondément marquante dans l’opinion et le peuple britannique, qui voit en cette réussite une première bonne nouvelle pour la suite du conflit. Elle relève d’un évènement très apprécié et décisif pour poursuivre le combat, alors même que les Etats Unis ne sont pas encore à ce moment entrés en guerre au côté des Alliés.
En dehors de la France, tout est déjà presque occupé. Le 14 mai, en 4 jours, les Pays Bas capitulent devant l’Allemagne. Le 28 mai, la Belgique signe l’armistice à son tour.
En juin 1940, les Alliés ne sont plus en France et ont été rejetées à la mer. C’est à ce moment qu’une autre bataille démarre, la Bataille d’Angleterre, qui confronte le peuple britannique à la guerre et à la potentielle capture de l’Ile. Les Britanniques cherchent désespérément une lueur d’espoir et les avis sont partagés entre se résigner à collaborer avec les Allemands ou continuer à combattre aux côtés des Alliés…. Un homme va répondre à leurs attentes et à cette question cruciale.
Winston Churchill, seul contre tous
L’Homme en question est Winston Churchill. 65 ans et une belle carrière militaire derrière lui, il se voit donné la tâche de diriger un pays en guerre et dans une situation très préoccupante. De plus, la politique actuelle du gouvernement vise plutôt à collaborer avec les nazis plutôt que de les combattre, car Winston Churchill succède à Neville Chamberlain (un des signataires des accords de Munich de 1938, en faveur de l’attribution de tous les territoires demandés par le Reich), qui a tenté par tous les moyens d’apaiser Hitler par la voie diplomatique. Winston Churchill, lui, est beaucoup plus alerte et conscient des dangers du nazisme et d’Hitler en Europe.
Mais pour décider et gouverner, le Premier Ministre d’Angleterre fraîchement élu sait qu’il est doit débattre et convaincre la chambre du parlement du Royaume-Uni, la chambre des communes que ce qu’il croit et le fondement de celui du pays. Cette nécessité de démontrer les dangers du nazisme n’est en fait pas un élément acquis de tous, car de nombreuses personnes au gouvernement pensent qu’une collaboration avec Hitler est possible et envisageable.
C’est donc dans cette atmosphère d’urgence et de doutes en Angleterre que le peuple doit décider de son orientation, par cet simple question en résultera une suite qu’elle va devoir assumer.

C’est donc là tout l’inverse de la politique que les Anglais connaissent qu’il faut leur faire comprendre, leur énoncer et décrypter la nécessité de combattre contre le nazisme, qui divise le pays actuellement. Winston Churchill a donc une tâche quasiment providentielle ; rallier tout le pays derrière lui pour poursuivre la guerre coûte que coûte jusqu’à la Victoire. On va le voir, mais lorsqu’il se présente devant les députés britanniques pour défendre son gouvernement qui lui a coûté l’isolement politique, les Anglais réalisent qu’ils viennent de passer d’un dirigeant de paix que représentait Neville Chamberlain à un chef de guerre, prêt à lutter contre l’idéologie raciste d’Hitler et à combattre.
Le 13 mai, 3 jours après son institution, il doit déjà gérer et porter tout le poids du pays dans cette guerre mondiale en devenir. Il prononce son tout premier discours, déjà bien imprégné d’une forte volonté de combattre, avec cette phrase qui marquera déjà les esprits :
« Je n’ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. »
C’est à ce moment le début d’une suite de discours qui entreront dans l’histoire du Royaume-Uni et dans sa position politique ferme.
Discours sur l’état de la situation de guerre
Début juin 1940, Churchill doit désormais exposer les récents désastres militaires en Europe et alerter la Chambre des Communes sur la menace imminente d’une invasion allemande sur son sol et d’un possible débarquement, tout en maintenant intacte la confiance en une victoire future possible. Il lui faut également évoquer l’éventualité d’une reddition française, sans pour autant la cautionner ni l’encourager. Enfin, il doit réaffirmer avec force la détermination du gouvernement à poursuivre la guerre. L’idée est aussi de chercher à calmer l’humeur nationale d’euphorie de la réussite de l’Opération Dynamo et de soulagement face à cette délivrance inattendue, et à lancer un appel clair aux États-Unis.
C’est donc à partir de ce postulat que l’un des plus grands discours de Churchill va prendre place et forger ce raisonnement dans les esprits. Quand les troupes allemandes sont aux portes du pays, le cabinet de guerre se déchire : Churchill veut absolument continuer le combat, tandis que ses adversaires politiques, les conservateurs Lord Chamberlain et Halifax souhaitent pour leur part une négociation pacifique avec les nazis.
Le discours du 4 Juin 1940
Le discours s’annonce fort. La Chambre des Communes et en ébullition et n’attend que les mots de son Premier Ministre. Le discours se décompose en plusieurs parties distinctes, nous n’allons voir que celle de fin qui a été reconnue comme la plus importante pour cet évènement d’envergure. Ce discours est le suivant :
Pour revenir encore une fois, et cette fois de manière plus générale, à la question de l’invasion, je voudrais faire observer qu’il n’y a jamais eu, au cours de tous ces longs siècles dont nous nous vantons, une période où notre peuple aurait pu être absolument assuré contre une invasion, et encore moins contre des raids sérieux. Au temps de Napoléon, le même vent qui aurait fait traverser la Manche à ses navires de transport aurait pu chasser la flotte qui faisait le blocus. Il y avait toujours une chance, et c’est cette chance qui a excité et trompé l’imagination de nombreux tyrans du continent. On raconte de nombreuses histoires. On nous assure que de nouvelles méthodes seront adoptées, et lorsque nous voyons l’originalité de la malice, l’ingéniosité de l’agression dont fait preuve notre ennemi, nous pouvons certainement nous préparer à toutes sortes de stratagèmes inédits et à toutes sortes de manœuvres brutales et perfides. Je pense qu’aucune idée n’est si farfelue qu’elle ne doive être considérée et examinée avec un regard attentif, mais en même temps, je l’espère, avec un œil ferme. Il ne faut jamais oublier les solides assurances de la puissance maritime et celles que confère la puissance aérienne si elle peut être exercée localement.
Je suis personnellement convaincu que si chacun fait son devoir, si rien n’est négligé et si les meilleures dispositions sont prises, comme elles le sont, nous prouverons une fois de plus que nous sommes capables de défendre notre île natale, de surmonter la tempête de la guerre et de survivre à la menace de la tyrannie, si nécessaire pendant des années, si nécessaire seuls. En tout cas, c’est ce que nous allons essayer de faire. Telle est la résolution du gouvernement de Sa Majesté, de chacun de ses membres. Telle est la volonté du Parlement et de la nation. L’Empire britannique et la République française, unis dans leur cause et dans leurs besoins, défendront jusqu’à la mort leur sol natal, s’entraidant comme de bons camarades au maximum de leurs forces. Même si de vastes étendues d’Europe et de nombreux États anciens et célèbres sont tombés ou risquent de tomber sous l’emprise de la Gestapo et de tout l’odieux appareil du régime nazi, nous ne faiblirons pas et ne faillirons pas. Nous irons jusqu’au bout, nous nous battrons en France, nous nous battrons sur les mers et les océans, nous nous battrons avec une confiance et une force croissantes dans les airs, nous défendrons notre île, quel qu’en soit le prix, nous nous battrons sur les plages, nous nous battrons sur les terrains de débarquement, nous nous battrons dans les champs et dans les rues, nous nous battrons dans les collines ; nous ne nous rendrons jamais, et même si, ce que je ne crois pas un seul instant, cette île ou une grande partie de celle-ci était soumise et affamée, alors notre empire au-delà des mers, armé et gardé par la flotte britannique, poursuivrait la lutte, jusqu’à ce que, au bon moment de Dieu, le Nouveau Monde, avec toute sa puissance et sa force, vienne à la rescousse et à la libération de l’ancien.1
Décryptage : La puissance du discours
De ce discours, nous retiendrons son incroyable détermination et son incroyable force. Les mots employés sont forts et percutent par leur précision. Plusieurs temps se bousculent : passé, présent et futur, montrant non pas le doute mais la volonté de faire et de parvenir à quelque chose, quelque chose qui va se produire. Tout y est abordé, tout ce qui touche à la situation géopolitique ; le passé victorieux et la position géographique du pays, l’aide extérieure (en particulier celle des Etats-Unis), sa position problématique actuelle, sa liaison avec la France et sur le destin incertain de la Grande Bretagne.
Cette utilisation successive des termes « nous nous battrons » invite à comprendre l’arrachement de Churchill et du Royaume-Uni dans sa survie, quoi qu’il en coûte, quoi qu’il en est et avec toute la force qu’ils possèdent. Il est fait mention de la volonté de soutenir la France et la position du Royaume-Uni en tant que garant de la liberté et de l’union des 2 pays dans cette cause commune. Les idées fusent et on remarque que le ton est sombre mais reste ferme et invite à tous de le suivre dans cette lutte qui est la leur aussi, pas seulement celle de l’Europe.
Churchill joue également avec les apparences. Il oppose l’unité et la résilience des Britanniques à la brutalité du régime nazi, qu’il dépeint à travers « l’odieux appareil du régime nazi » et la Gestapo. Son discours façonne ce conflit en une bataille entre la civilisation et la barbarie, renforçant ainsi l’idée d’une lutte existentielle entre le bien et le mal. C’est une lutte nécessaire, un mal pour un bien, la liberté contre l’obscurantisme.
Ce discours ouvre également la discussion sur un thème bien plus important et sur le fait que chaque britannique à un rôle à jouer dans sa survie contre le nazisme. Chacun doit faire son devoir envers son pays et contribuer à l’effort collectif, pour que jamais l’Ile ne sombre et ne capitule.

Un tournant sans précédent pour la Grande Bretagne dans la Seconde Guerre Mondiale
Ce discours fut ovationné par une très grande partie de la Chambre des Communes, qui frappa sans détour toutes les personnes réticentes quant à la volonté de poursuivre le combat. Par ce discours, les ennemis comme les Alliés de la Grande-Bretagne sont fixés : le Royaume Uni ne se rendra jamais et combattra pour son territoire jusqu’à son dernier souffle.
Ils se battront jusqu’à que la France soit libérée et que, avec toute sa puissance retrouvée, la Grande Bretagne parviendra à rétablir la paix et à arrêter la machinerie nazie. Les pessimistes de la situation se voient désemparés de la situation qui leur échappe, laissant place à un sentiment national et à une union entre toutes les classes Britanniques dans ce combat contre un ennemi commun : le nazisme.
L’heure était venue pour lui de mobiliser la langue anglaise et de l’envoyer au combat, fer de lance de l’espoir pour la Grande-Bretagne et le monde. Nous avons réuni une partie de cette prose churchillienne. Elle a soutenu. Elle a élevé le cœur d’une île de personnes alors qu’elles se trouvaient seules. »
A. Edward R. Murrow
La liberté et la paix comme boussole
C’est dans cette mentalité et partant de cette idée que la guerre se poursuivit pour les Alliés en Europe. Quelques mois plus tard, en Juillet 1940, la Bataille d’Angleterre débutait, mettant à mal le pays tout entier sous le feu constant de la Luftwaffe. En première ligne, Winston Churchill poursuivra le combat jusqu’à qu’Hitler reporte l’invasion de la Grande-Bretagne en décembre 1940, grâce à tout l’effort du pays dans sa survie.
Le 7 décembre 1941, les Etats-Unis entrent dans le conflit aux côtés de la Grande-Bretagne, une nouvelle rassurante et marquante pour les Britanniques dans la tournure de la guerre, assurant alors un équilibre des forces dans un conflit désormais mondialisé.
En ayant dit non au nazisme et aux compromis, la Grande-Bretagne se positionne dans les heures sombres de la Seconde Guerre Mondiale comme un garant sans équivalent de la paix et de la liberté, symbole qu’il faut trouver la lumière dans un environnement obscur… Churchill a marqué à jamais l’histoire du monde libre, par sa vision et son habileté à convaincre et à imposer la volonté du plus grand nombre pour la paix.
Sources
- https://winstonchurchill.org/resources/speeches/1940-the-finest-hour/we-shall-fight-on-the-beaches/ ↩︎
Connaissances personnelles