J’espère que le monde extérieur comprendra que le gouvernement hitlérien n’a aucune intention de se diriger vers la guerre […]. Comme l’a dit Adolf Hitler lui-même, l’Allemagne n’a pas besoin d’une nouvelle guerre pour venger la perte de son honneur militaire, car elle ne l’a jamais perdu. L’Allemagne ne veut aucune guerre, quelle qu’elle soit. Elle aspire à une paix réelle et durable.
Rudolf Hess
Malheureusement, il ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions et d’attendre le bon moment pour forcément réussir. Il faut parfois forcer le destin ou tenter de pousser son idée vers sa réalisation, quitte à tout donner. Dans ce cas là, j’aimerai vous partager un évènement peu connu pré-Seconde Guerre Mondiale, qui n’a pas changé le destin du monde, mais seulement la vie d’un homme. Il s’agit de l’envol du numéro 2 du Troisième Reich, du « remplaçant du Führer » Rudolf Hess. Voyant la guerre arriver à grands pas, son chef Hitler préparer des offensives et contre toutes les interdictions de ce dernier, Hess a décidé de s’envoler pour l’Ecosse avec un Messerschmitt BF110D modifié pour proposer aux Alliés un plan de paix et arrêter la guerre. Il comptait sur son statut important auprès d’Hitler pour tenter de retourner la situation, persuadé qu’Hitler le comprendrait et lui pardonnerait, que tout rentrerait dans l’ordre.
De ce constat, Hitler n’a aucunement compris le message de son acolyte des premières heures et le rejette en totalité, le faisant passer pour un fou. Il le renie et ne cherche pas à le sauver. Mais comment est venu l’idée à Rudolf Hess d’envisager un vol formellement interdit par son chef ? Quelles ont été les répercussions sur l’Allemagne ? Nous allons examiner les différents points importants de cet acte et de cette énigme dans cet article.
Rudolf Hess, discret mais influent
Mais cette histoire rocambolesque met en lumière une personne : Rudolf Hess. Grand, discret et extrêmement fidèle, Hess a réussi à se faire une place dans l’entourage d’Hitler, jusqu’à devenir numéro 2 dans l’ordre de succession à la chancellerie, alors qu’il n’était pas tout à fait destiné à ça à la base.
Rudolf Hess Walter Richard est né à Alexandrie en 1896, d’une mère suisse et d’un père bavarois ayant fait fortune en tant que négociant dans l’import-export. Il ne vit pas nécessairement dans la classe moyenne et se destine à reprendre la société de son père. Il aime les mathématiques et la logistique, bien loin d’apprécier ce que fait son père justement. Il fera la Première Guerre Mondiale comme une bonne partie de la jeunesse européenne et sera affecté au 7e régiment d’artillerie bavarois.
Il est grièvement blessé à Douaumont en 1916 et dès l’été 1917, il combat sur le front roumain, mais aussi à Verdun également où il subit deux nouvelles blessures, dont l’une au poumon, qui manque de lui coûter la vie. Sans attendre la fin de sa convalescence, Hess rejoint l’aviation en mars 1918, mais ne sera affecté à une escadrille combattante qu’en octobre, un mois avant l’armistice et il ne se passera donc rien de très formateur pour le jeune Hess. Il sortira de la guerre avec le grade de sous-lieutenant.

Hess est surtout un lieutenant idéaliste et farouchement antibolchevique, profondément marqué par les évènements en Allemagne qui rongent la vie quotidienne. Il croit en l’antisémitisme. Rudolf Hess participe à la répression de la République des conseils de Munich en mai 1919 au sein du corps franc de von Epp, une mouvance d’extrême droite. Après sa démobilisation, la vie reprend son cours. Il reprend les études et apprend l’économie à l’université de Munich, mais le jeune Hess a d’autres pensées à ce moment, car il est fasciné par le mythe du « coup de poignard dans le dos » et des « criminels de Novembre » : ceux qui d’après eux ont déshonoré l’Allemagne et signé le Traité de Versailles. Il est ébahi par cette idée de traîtres.
[Je suis] bien décidé, à contribuer à infliger à ces barbares et à ces violeurs du droit des gens les coups qu’ils méritent
Rudolf Hess dans une lettre à ses parents
Hess entre au NSDAP
Hess va découvrir sans le savoir la voie qu’il maintiendra jusqu’à sa mort. Il se rapproche des cercles nationalistes munichois et des partis autour du mouvement volkisch. Il trouvera également le parti national-socialiste des travailleurs allemands. Il y rencontre Dietrich Eckart et Ernst Röhm, piliers de l’organisation, puis découvre Adolf Hitler, dont il devient un fervent adepte et à un véritable coup de foudre. On dit qu’il a une « obéissance canine ». En juin 1920, il rejoint le NSDAP en tant que membre numéro 16 et s’engage pleinement dans le mouvement. Il est alors dans les tous premiers à adhérer au parti nazi, derrière même Joseph Goebbels avec le numéro 8 762, Hermann Goering et le numéro 23 ainsi que Himmler et le numéro 14 303. Il est donc même encore plus ancien que les autres grands noms du nazisme. Mais il reste discret et n’est pas aussi exubérant que ses compagnons de route et surtout moins fougueux et marquant qu’Hitler.
Son évolution ne s’arrête pas à de l’administration car il assiste à toutes les réunions, rejoint le service d’ordre des Sturmabteilung (SA), colle des affiches et distribue des tracts dans les rues, souvent épaulé par une jeune étudiante, Ilse Pröhl, qui deviendra plus tard sa femme. Mais celle-ci devra toujours partager son mari avec une autre passion qui lui prend beaucoup d’énergie, celle qu’il voue à Adolf Hitler.

Fasciné par le chef du parti, décidé à venger l’humiliation du traité de Versailles et à restaurer la grandeur de l’Allemagne, Hess lui voue une loyauté totale, aveugle. Il décide de mettre sa vie en jeu à ce point et participe activement au putsch manqué de la brasserie Bürgerbräukeller du 8 novembre 1923, jouant un rôle clé en retenant des ministres bavarois en otages.
Le cercle privé d’Hitler
Suite au putsch, Hitler, Hess et les dirigeants du parti nazi sont jugés par le tribunal régional de Munich 1 du 26 février au 1er avril 1924 lors du très médiatisé procès « Hitler-Ludendorff ». Ils sont tous enfermés et complices de haute trahison. Ils sont condamnés à un minimum de cinq ans de prison et à une amende de 200 marks-or. Le procès était surtout très sympathisant envers Hitler et une belle propagande pour son parti.
Hitler fut transféré à la prison de Landsberg, non loin de Munich avec Rudolf Hess, Emil Maurice dans des cellules plus que confortables. On notera l’importance sans précédent de Hess et de Winnifred Wagner, qui fournit à Hitler plumes et papier pour ainsi entamer l’écriture d’un des livres les plus importants de son histoire et du 20ème siècle : mi-biographie de ses années passées, mi-description de son programme politique futur : Mein Kampf. Hess aida donc Hitler a écrire son livre durant toute la durée de leur détention et montrera une nouvelle fois à Hitler sa foi inébranlable et aveugle.

Jamais dans toute l’ascension d’Hitler Hess n’a fait d’écarts ou d’impairs. Il est resté le bon et loyal soldat, celui sur qui Hitler peut se reposer et déléguer les missions. Il est le soldat exemplaire. Après ce putsch, Hess rejoint d’abord une société nommée Eiserne Faust, tournée vers l’extrême droite, puis la très fermée Société Thulé, une organisation sectaire du national-socialisme réunissant des grands noms du pouvoir pour prouver la supériorité de la race aryenne. Il deviendra en 1925 le secrétaire privé d’Hitler et entrera dans la SS avec le numéro de membre 50, bien avant Himmler qui a le numéro de membre 168 (on dénombrera plusieurs millions de membres dans la SS vers la fin de guerre). Il rejoindra plus tard la SS, jusqu’à devenir SS-Obergruppenführer (général).
Hitler chancelier, tremplin pour Hess
Il est donc partout aux premières loges, parmi les premiers dans chaque projet d’Hitler et il ne fait pas de vagues. Cette loyauté lui vaudra le titre de Stellvertreter des Führers ou l’« Adjoint » du Führer. Plus tard, 1 mois après, Hitler accède au pouvoir grâce à Hindenburg le 30 janvier 1933 et remporte une majorité par alliance au Reichstag le 5 mars 1933 avec 340 sièges. Hess est au sommet de la hiérarchie et aidera activement à la rédaction des sinistres lois de Nuremberg de 1935, qui verra créer 3 lois majeures (Loi sur le drapeau impérial à croix gammée, Loi sur la citoyenneté du Reich Loi pour protéger le sang allemand et l’honneur allemand). Il est au cœur de la machinerie nazie.
Il est alors dans le cercle privé d’Hitler, son plus proche conseiller et même si Hitler ne le considère par comme un intellectuel, il a une grande estime pour cette homme plus que quiconque à l’heure ou il doit resserrer les rangs et prouver qu’il peut gouverner et instaurer un état totalitaire. Hess pourrait prétendre à peut être un jour prendre la place d’Hitler ou à rester son protégé, mais il n’en est rien. Hess nourrit une unique conviction de servir Hitler et le régime et le Führer l’a bien compris. Hitler sait exactement comment utiliser son bras droit et il en aura bien besoin pour la suite de ses plans pour l’Allemagne et l’Europe.

En 1937, Hess aura un fils, Wolf Rüdiger et Hitler en sera le parrain. En famille, dans le parti et au gouvernement, Hess est profondément ancré dans le premier cercle d’Hitler. Il n’est pas plus éloquent et influent que les autres plus connus du régime, mais il est dans une position de pouvoir incontestée de part son rapprochement avec Hitler qui lui permet d’éviter les conflits entre responsables nazis..
L’interdiction frustrante
Nous sommes désormais en 1940. La guerre a commencée en Europe. La Pologne est déjà tombée depuis le 29 septembre 1939, créant une unique frontière avec l’URSS qui annexèrent respectivement 189 000 km² pour l’Allemagne et 199 430 km² pour l’URSS. Au même titre que la Tchécoslovaquie, l’Autriche et les Sudètes, la Pologne devient partie intégrante de la « Grande Allemagne » voulue par Hitler.
Plus tard, Hitler lance ses divisions blindées dans la campagne de France et débutera la bataille d’Angleterre peu après, dernier rempart et dernier ennemi encore debout sur leur chemin. Ils sont en position de force. Cette situation réjouit indéniablement Hess qui ne rêve que de rejoindre le combat et de participer aux victoires qui semblent si faciles et rapides. Il n’attend que de pouvoir aller défendre son pays et se sentir utile. Pour atteindre son but, il n’a qu’un obstacle : convaincre le Führer de le laisser s’envoler.
Il se rend au quartier général d’Hitler aménagé pour l’occasion à la frontière belge, et confie à son thérapeute personnel, Felix Kersten, le profond malaise qui l’habite. Ce dernier note dans son journal :
[Hess] m’a assuré qu’il n’avait qu’un seul désir : mourir en héros aux commandes d’un avion. Mais le Führer lui avait formellement interdit de voler, le condamnant ainsi à une vie de bureaucrate. […] Il ne supportait plus cette existence et était fermement décidé à risquer sa vie pour accomplir un acte grandiose au service de l’Allemagne.1
De ce constat de volonté de bravoure, Hess ne perdit pas aussi de son énergie pour montrer toute sa méprise pour la guerre. En traversant des régions fraîchement ravagées par les combats, Hess, les larmes aux yeux, lui aurait déclaré les prémices de ce qui allait engendrer son envol secret :
C’est horrible de voir des contrées autrefois prospères dans un tel état de dévastation. La guerre ne devrait pas se prolonger. Le monde finira bien par reconnaître l’invincibilité de l’Allemagne. Il faut tendre la main pour une réconciliation.2
Arrivé au quartier général, Hess est accueilli par Hans Baur, le pilote personnel d’Hitler, qui l’accompagne jusqu’au Führer. La rencontre entre les deux hommes est brève et décevante malgré leur fort lien du passé. Hess dit tout ce qu’il a sur le coeur et veut prouver à Hitler que le laisser partir est la meilleure solution. Suite à sa demande, Hitler refuse catégoriquement de lui accorder la moindre permission de se rendre au front et d’aller combattre. Baur racontera cette frustrante interdiction qui lui fit perdre tout espoir :
Hess voulait pouvoir faire une tournée sur la ligne de front, mais Hitler s’y est opposé, arguant qu’en son absence, il devait impérativement pouvoir compter sur quelqu’un en Allemagne. Il lui ordonna donc de ne prendre aucun risque et de retourner à Munich.3
Hitler refuse donc à Hess de quitter son cercle, car il est le seul pilier sur lequel il peut se reposer quand il s’occupe à regarder ailleurs. Il est celui qui gère le pays pendant qu’Hitler s’empare de l’Europe. Cette nouvelle fut un choc pour Hess, qui voit tout se verrouiller autour de lui, comme condamné à ce qu’il ne veut pas faire dans une administration désormais plus bureaucratique que révolutionnaire. Le lendemain matin, en route pour l’aéroport, Hess se confie à Baur, visiblement abattu :
Vous voyez où j’en suis, Baur. Je préférerais de loin commander une compagnie au front plutôt que d’être ministre du Reich, coincé à l’arrière. En temps de guerre, un homme valide devrait être au front, pas derrière un bureau à arbitrer les querelles internes du parti…4
L’histoire prend donc une tournure qui déplait au numéro 2 du Reich et c’est de là que part notre histoire. C’est de là que l’énigme commence et surtout la préparation de son vol qui va changer sa vie.
La préparation en secret
Hess commence donc à se poser des questions, sur la suite de son avenir. On ne sait pas grand chose de ce qu’il a pensé et de ce qu’il allait faire après sa réunion avec Hitler. Mais une chose est sûre, c’est que beaucoup d’éléments mettent de suite la puce à l’oreille et oriente vers une idée commune : s’envoler. Il voit aussi qu’Hitler ne compte pas s’arrêter dans sa lancée et il sent que le Führer n’est qu’au début de ses ambitions, qu’il va attaquer toute l’Europe d’Ouest en Est prochainement.
Toute l’énergie de l’élite nazie se tourne donc vers la guerre, laissant alors à Hess, fidèle et dévoué sans réels positions importantes dans le régime les simples tâches des discours, des affaires et querelles internes du parti. On lui laisse les clés du parti en Allemagne. Il devient alors le chef d’une organisation presque fantôme, ou acquise, qui n’est plus tournée vers l’essentiel d’Hitler et du nazisme. Le caractère d’Hess différant avec ses camarades de parti, il s’enfonce alors dans l’ombre de la bureaucratie, laissant alors place à d’autres figures qui sont au premier plan sur les tables couvertes de cartes de bataille. Interdiction de voler et interdiction d’aller se battre, il doit se cantonner à poste qu’il n’aime pas et qui ne lui convient pas.
Il fit une confidence à son thérapeute Felix Kersten, montrant sa détermination infaillible.
[Hess] m’a assuré qu’il n’avait qu’un désir: mourir en héros aux commandes d’un appareil. Mais le Führer l’avait interdit de vol, de sorte qu’il était condamné à rester derrière un bureau. […] Il ne pouvait supporter cette existence et était fermement résolu à mettre sa vie en jeu pour accomplir un grand exploit au service de l’Allemagne. >>
Les premiers signes
La première chose est les témoignages des 2 secrétaires de Hess, Ingeborg Sperr et Hildegard Fath vers la fin de l’été 1940. C’est un des premiers signes, mais qui a ce moment n’étaient qu’anecdotiques. Il s’agit de quand elles se mettent à transmettre régulièrement à Hess sur demande les bulletins météorologiques concernant la Manche, la mer du Nord et les îles Britanniques. Cette idée se développe, quand Hess demande au Général de la Luftwaffe Ernst Udet un chasseur bimoteur Messerschmitt 110 pour lui permettre soi-disant de faire des vols d’agrément à partir de l’aérodrome berlinois de Tempelhof.
Hess se permet car il a les moyens et le pouvoir de le faire. Avec son glorieux passé aviateur et son positionnement en tant que numéro 2 du Reich, il obtient des passe-droits de ses subalternes, qui ne se voient pas refuser quelque chose à leur chef.5
Ensuite, comme on ne lui refuse rien, Hess obtient finalement l’autorisation d’utiliser un Messerschmitt Bf 110 tout juste sorti d’usine, tout neuf, officiellement pour effectuer des « vols d’essai » depuis l’aérodrome d’Augsbourg. Après tout, il n’a rien fait de mal durant ses vols d’agrément à Tempelhof. Pourtant, cet avion invite au doute, car il s’agit d’un avion de chasse lourd, le Zerstörer, qui est conçu de base pour un équipage de deux hommes, et sa manipulation en solo s’avère particulièrement complexe et limitée. C’est un avion de combat pur et non pour l’entrainement. Mais Hess, pilote expérimenté et virtuose, s’adapte rapidement aux exigences techniques de l’appareil, tout en le faisant modifier à sa convenance et l’adaptant pour n’avoir qu’un seul pilote, lui.
Hess est donc le pilote d’un avion énorme, trop grand pour lui, adapté au combat alors qu’il n’ira pas au front, pour des vols courts… Et personne ne se doute de rien, car après tout, il s’agit du numéro 2 du Reich.

Hess vole régulièrement avec son Messerschmitt Bf 110 modifié
Hess apprend vite, s’habitude vite et vole énormément durant les mois qui suivirent, quand il le pouvait. Il n’avait que ça en tête. Après chaque vol, il fait remonter au constructeur des remarques précises et détaillées, pour souligner qu’il pourrait ajouter à l’avion des améliorations techniques (orientées pour lui). Il cherche à améliorer son engin, déjà très inadapté de base à son utilisation.
Ce chasseur est excellent, mais il n’est utilisable que pour des vols courts. Je parie qu’il perdra toute sa maniabilité si vous ajoutez des réservoirs supplémentaires sous les ailes.
Peu après, il utilisait le même procédé de retours innocents pour réclamer une radio de bord plus puissante, des éléments supplémentaires à l’avion et compte bien aller plus loin encore, mais toujours sous couvert de ses ambitions à lui. Il désarme l’appareil, il agrandit le réservoir.
Ainsi, au fil d’une vingtaine de sorties entre l’automne 1940 et janvier 1941, Hess fait équiper son Messerschmitt Bf 110 d’une série de modifications majeures : réservoirs largables, radio longue portée, instruments de navigation améliorés… À mesure que l’appareil devient l’outil idéal pour envisager des missions de longue distance, l’obsession de Hess touchait bientôt à son but et à son objectif.
Le but que je m’étais fixé m’obsédait comme une idée fixe. Le reste du monde m’apparaissait dans un brouillard. […] Je ne vivais plus que dans un univers de compresseurs à pistons, de pompes à huile supplémentaires, de circuits de refroidissement, de guidage radio, de réservoirs largables, et de cartes des reliefs écossais.
Plus tard, en janvier 1941, il reçoit du pilote personnel d’Hitler une carte des zones de survol interdites, lui permettant de savoir précisément quelle zone passer et quelle zone éviter pour son vol. Cette carte relève d’une importance capitale, d’autant plus quand on veut voyager discrètement. Sans éveiller les soupçons, il arrive à obtenir ce qu’il veut grâce à son statut.
Un face-à-face nécessaire
Alors que son engin s’améliore, Hess croit dur comme fer à son ambition. Il est bien décidé à voler et à jouer de son rôle de numéro 2 du Reich au nom du Führer. La situation est très favorable sur le front pour les Allemands, qui ne font que progresser. Mais la paix n’est pas encore assurée et pas comme Hess le voyait. Il se rapproche de plus en plus de l’idée et de la volonté d’entrer en contact avec le duc d’Hamilton d’Ecosse, espérant qu’il fasse le lien avec le roi et les cercles britanniques germanophiles hostiles à Churchill. Il sent qu’il peut devancer Hitler et lui montrer qu’il est bien mieux au combat ou dans les airs que derrière un bureau. Hess croit qu’Hitler veut arrêter la guerre, comme il le prône dans les discours et se met en tête de prendre les devants lui même. Alors qu’il n’en est rien réellement.
Le duc d’Hamilton est d’autant plus un noble écossais qu’il avait rencontré aux Jeux olympiques de 1936 à Berlin et considéré comme politiquement influent pour tenter de rallier des soutiens à une paix négociée avec l’Allemagne. C’est donc la cible parfaite selon lui. Il décide alors de rédiger une lettre à ce dernier, avec quelques propositions pour mettre fin à la guerre et une possible rencontre en Suisse, terrain neutre, pour voir cela en détail.
Malgré cette demande, le duc ne répondit pas à sa lettre envoyée le 23 septembre 1940. Mais cela ne fait que renforcer, dans l’esprit de Hess, la nécessité d’un face-à-face personnel et direct pour obtenir une réponse stricte. Grâce à son réseau au sein du renseignement et de proches connaissant bien les lieux, il sait de source sûre que la propriété du duc est située à Dungavel, près de Glasgow, et qu’elle dispose d’une piste d’atterrissage. Hess y voit directement une opportunité d’y atterrir. L’endroit semble idéal, mais totalement insensé sachant qu’un atterrissage dans cette propriété sans se faire abattre relève d’un exploit technique et d’une chance inouïe. Mais Hess compte bien tenter le coup : après tout, il vient représenter l’Allemagne pour envisager et proposer une paix discutée.
Hess est fin prêt. Il a tout, il connait maintenant parfaitement son Messerschmitt BF 110. Il sait qu’il part pour une mission périlleuse. Son avion changera de désignation, étant modifié, et se nommera Messerschmittt Bf110D VJ+OQ / Werknummer 3869.
- Bf110D : Bf110 à long rayon d’action (D) pour Dackelbauch (réservoir ventral allongé). C’est donc une version pour des longues distances.
- VJ+OQ : code d’identification et unité de rattachement unique désignant l’appareil de Rudolf Hess.
- Werk nr. 3869 : identification unique de l’appareil

Quand les questions posent d’autres questions
Mais alors que tout semble s’aligner pour le bon déroulement de sa mission, l’opération elle-même entre déjà dans une zone de turbulence. Des signes troublants apparaissent, car Hess devait travailler avec ses subordonnées pour obtenir toutes les informations nécessaire au vol. Ainsi, le 9 octobre 1940, le gauleiter Ernst Wilhelm Bohle, responsable de l’organisation extérieure du NSDAP, sous l’autorité de Hess, se souvient d’avoir été convoqué dans le plus grand secret au quartier général chez Hess. Il affirme à d’autres qu’Hess lui a demandé de traduire la lettre au duc, mais le but n’était pas précis. Une idée se pose et se propage, pourquoi Hess demandait des données météorologiques ? pourquoi a-t-il rédigé une lettre au duc d’Hamilton et surtout est-ce qu’Hitler est au courant ?
Car sous cet angle, on pourrait penser qu’Hitler voulait entamer des accords de paix sous l’égide de son bras droit sans en parler formellement à son entourage direct. Mais aucune de ses questions n’ont encore de réponses. Le numéro 2 du Reich, le cerveau même du Parti, n’irait pas jusqu’à trahir le Führer ou mettre en danger la survie de l’état.
10 mai 1941, L’envol du numéro 2 du Reich
Avant l’envol du 10 mai, il y eut 3 jours J. Il tenta a 3 reprises d’effectuer le trajet, mais à chaque fois il rebroussa chemin à cause des mauvaises conditions météorologiques et peut être du fait qu’il ne sentait pas son appareil : il ne fallait pas rater le bon moment. Il attendait aussi à chaque fois la situation du front, pour qu’il soit en situation de force une fois arrivé et surtout capable de négocier facilement. On estime aussi que la date ou il ne devait pas se louper et prendre son envol final était le 10 mai, date donnée par une astrologue suisse et une astrologue allemande qui conviendrait le mieux à ce long voyage, car Hess a une grande passion pour l’astrologie.
Hess passe du temps avec sa femme et son fils Wolf Rudiger qu’il risque de ne plus revoir. Il met au courant de la mission sa femme et lui dit qu’il compte rentrer pour le dimanche 11 mai ou le lundi 12 maximum. Il avait aussi prévu un délai un peu plus long en cas de négociation prolongée. Mais Hess lui même ne croyait pas revenir..
A l’aéroport d’Augsbourg-Haunstetten…
C’est alors que ce 10 mai, aux horizons de 17 heures, qu’Hess arrive à l’aéroport d’Augsbourg-Haunstetten où se trouve son avion. Il faut qu’il passe inaperçu, alors il revêt une tenue complète d’aviateur. Il emmène le minimum, juste ce qu’il faut pour sa mission : cartes, papiers, livres, feuilles et médicaments. Hess remercie son aide de camp Pintsch et remet des lettres pour le Führer, peut être la clé même du mystère qu’il va créer.
A 17h45, Hess est son Messerschmittt Bf110D VJ+OQ décolle de l’aéroport avec pour destination Dungavel en Ecosse. Ca y est, Hess, numéro 2 du Reich, s’est envolé une nouvelle fois sans aucun haut responsable nazi ne soit au courant. Il prend la direction du Rhin vers le Zuidersee dans les Pays Bas. Guidé par les signaux directionnels de l’émetteur danois de Kalundborg, Hess commande son propre vol :
La solitude au-dessus de la mer du Nord était grandiose […], le ciel était dégagé – malheureusement bien trop dégagé.
Car Hess ne doit pas trainer et se faire repérer, malgré qu’il ait tout travaillé et qu’il est au courant de toutes les zones dangereuses. La majeure partie du trajet se fit à 1 500 mètres d’altitude et il fut détecté à 22 h 08 par le système de surveillance anglais. Alors, il traverse à grande vitesse la côte de l’Écosse en volant au ras des arbres, puis il survole vers 22h40 la propriété du duc d’Hamilton à Dungavel. Ca y est : il est déjà presque arrivé à bon port. Il fut blessé au pied, soit en sortant de l’appareil, soit en heurtant le sol. L’avion s’écrasa à 23 h 09, à environ 19 km à l’ouest de Dungavel House.
Le terrain d’aviation, petit, en pente et non éclairé, ne permet pas un atterrissage sécurisé pour son chasseur lourd. Pilote expérimenté à court de carburant et refusant d’atterrir de nuit, il décide alors de grimper à 2 000 mètres et de sauter en parachute, malgré son inexpérience. Après un saut difficile, son parachute s’ouvre finalement à 23h06, et il touche le sol écossais vers 23h15. Il est officiellement arrivé en Ecosse en secret : personne au pouvoir n’est au courant de son départ en Allemagne.

C’est alors que sa tâche diplomatique prend place. Car le but n’était pas d’arriver, mais maintenant de convaincre les Anglais.
Le vice-führer en Ecosse
Mais rien ne va se passer forcément bien pour lui. Hess, a peine atterri, en pleine nuit, fut rapidement interpellé par un fermier l’ayant repéré, armé d’une fourche. Ce dernier, demandant si l’aviateur était allemand, fut surpris par l’excellent anglais de son prisonnier, qui se fit appeler le Hauptmann Albert Horn. C’est alors le début des problèmes. Il fut recueilli par la Garde nationale et fut ensuite interrogé par un major du Corps des observateurs, qui reconnut immédiatement l’aviateur isolé Rudolf Hess, haut responsable du parti nazi et vice-führer allemand.
Il est clair qu’à ce moment beaucoup de questions se posent, que fait le numéro 2 du Reich en Ecosse ? La mission ne pouvait que s’apparenter à une fuite ou à un évènement imprévu et inconnu des Anglais. De toute façon, Hess n’allait pas revenir en Allemagne car son avion était désormais intercepté et son pays bientôt informé de ce qu’il a fait. Les Anglais et les écossais ne sachant pas trop ce qu’il faisait ici, le fit prisonnier quelque temps à la tour de Londres et subira des interrogatoires. L’information de sa capture reste pour le moment secrète.
Alors voilà toute l’énigme de l’aviateur Hess. Beaucoup de questions se posent et surtout : cette mission est elle isolée ou est-elle une demande officielle d’Hitler ? Difficile de répondre honnêtement, mais on suppose que Hess ait agit seul, au vu des réactions au Berghof.
Réactions au Berghof de l’envol de Hess
Au Berghof, le départ de Hess passe inaperçu, totalement. Personne n’est au courant, c’est normal, mais personne ne cherche à savoir si le numéro 2 du Reich est bien là. Mais cela ne le sera pas longtemps, car souvenez-vous, Hess avait donné des lettres et un paquet à son aide de camp Pintsch pour Hitler.
Mais ce dernier ne l’ouvre pas pendant toute la durée du vol au moins jusqu’au jour suivant, trouvant les affaires du parti toujours aussi ennuyeuses et inutiles. C’est donc en ouvrant les lettres qu’Hitler comprend ce qu’Hess a fait et il entre dans une colère noire. Une colère si noire, qu’il n’arrive pas à contenir, faisant jaillir des cris, des aboiements et des paroles fortes dans toute la pièce. L’état-major ne sait pas comment le réconforter et Hitler rumine cet évènement tout bonnement incompréhensible. Il n’arrive pas à encaisser cet évènement et convoque les principales têtes du régime, Goebbels, Himmler, Bormann, Goring…
Si un sous-officier fait cela, on le fusille impitoyablement. Mais que Hess fasse une chose pareille, c’est tout bonnement incompréhensible; c’est à devenir fou !
Nous pouvons y comprendre qu’Hitler ne semblait pas avoir de volonté pareille de laisser partir son numéro 2 seul ou même partir tout simplement. Mais pour mieux comprendre tout le décor, quel est cette lettre qui a fait sortir Hitler de ses bottes ? Nous allons nous y pencher.
La lettre d’Hess à Hitler
Dans sa lettre à Hitler, Hess exposait ses motivations et son ambition : il n’agissait ni par faiblesse ni par lâcheté, mais par conviction profonde. Il affirmait qu’il fallait plus de courage pour tenter seul une mission de paix que pour rester en Allemagne. Étonnamment, l’essentiel de la lettre portait sur les aspects techniques du vol, qu’il avait déjà tenté une première fois sans succès.
Ce n’est qu’après ces détails qu’il abordait le fond politique : établir une liaison directe avec certains responsables britanniques afin d’ouvrir des négociations de paix. Selon lui, Hitler désirait encore, au fond de lui, une entente avec l’Angleterre. Il n’avait rien dit de son projet à ce dernier, conscient que le Führer s’y serait formellement opposé. Il concluait sa lettre par une phrase qui montre toute son admiration et sa résignation.:
Et, mein Führer, si mon entreprise — qui, je dois l’avouer, a peu de chances de succès — devait échouer, vous pourrez toujours me désavouer, en me déclarant fou.
Le vol pour la paix n’a pas fait son oeuvre
Hitler, lui ayant interdit de voler et de sortir du pays, le déshonora et il perdit tout avec lui. Il informa la presse qu’Hess est devenu fou, que rien de ses propositions ne sont vraies ou relatant de la volonté d’Hitler. Il informe aussi qu’il a agit seul et que c’est un acte isolé. Hitler ne tentera pas non plus d’aller le rechercher, trop risqué surtout dans cette période de la guerre. Il est un traître qui a déserté et il va devoir payer le prix de la captivité. Hitler ira jusqu’à inventer à Hess une maladie dégénérative qu’il avait depuis longtemps et qui s’aggravait. Il dit également :
Hess est avant tout un déserteur, et si jamais je l’attrape, il paiera cher cette abjecte trahison. Du reste, il me semble que cet acte a été inspiré au plus haut point par les fantasmagories astrologiques dont s’entourait Hess. Il est donc temps de balayer radicalement ce fatras nocif de divination aberrante
Hess est en prison et ne rencontra jamais ni le roi, ni Churchill, ni aucun dignitaire britannique important. Il n’aura aucun poids si ce n’est médiatique et politique. La paix ne sera pas non plus une option et il n’y aura pas de discussions et des négociations comme il l’avait imaginé. Hess n’eut pas l’occasion d’exposer son plan et de convaincre Hitler avec sa lettre et son acte délibéré.
Six semaines plus tard, Hitler lance la conquête de l’URSS, prenant beaucoup d’énergie et de temps à Hitler et son état-major. Les histoires de paix et de négociations sont terminées et aucun retour en arrière n’est possible. Hess quant à lui, ne présente plus d’intérêt pour l’Allemagne et sombre dans l’oubli. Il n’est plus qu’un prisonnier politique et le restera durant toute la guerre. Son action fut totalement oubliée.
Hess fut remplacé par Bormann à la chancellerie et ne sera plus affilié officiellement au parti nazi, malgré son antisémitisme et son adoration pour Hitler toujours aussi vivace. Il laisse derrière lui sa femme et son enfant Wolf Rudiger en Allemagne. Son histoire se termine ici, mais pas de nombreuses questions autour de ce vol.
Hitler complice du vol ?
Plusieurs sources affirment qu’Hitler aurait pu demander à Hess de se rendre discrètement en Ecosse et de proposer une paix séparée avec l’Angleterre. Il aurait pu lui demander car les Britanniques n’étaient pas en position de négocier, car ils subissent les bombardements incessants de la bataille d’Angleterre de plein fouet et qu’ils sont les seuls encore à se battre. Cette possibilité relève de la réalisation même de son vol, qui parait très improbable qu’il ait pu être réalisé sans accroc, sans avertissement ou signalements des Flak et des défenses tournées vers le ciel. Hitler aurait pu aussi bien jouer ses réactions, ou simplement ne pas vouloir assumer son bras droit ayant échoué dans cette demande secrète. On ne sait pas formellement qui est le véritable commanditaire de ce vol.
On souligne aussi que cet acte réalisé pour l’amour de la paix et de l’obéissance à outrance au Führer a mené à une catastrophe médiatique pour la propagande du Reich et surtout un beau coup de filet pour les Britanniques, qui purent tirer de précieuses informations auprès d’Hess alors même que la guerre ne venait de débuter.
Son envie de paix et ses idées l’ont mené à tenter une opération risquée. Il connaissait la sentence pour la désertion ou tout simplement partir, mais comme il pensait très bien connaitre Hitler, il voulut prendre les devants et montrer à Hitler qu’il n’était pas qu’un homme qui devait rester derrière un bureau.. Cela fut tout le contraire.
La proposition de paix évaporée, la guerre ne fera que s’intensifier et s’ancrer profondément dans les pensées et les territoires, tandis qu’Hess fut déchu de son pays par cet acte…
Notes intrapaginales
- Page 178, Les Secrets du IIIe Reich, François Kersaudy ↩︎
- Page 179, Les Secrets du IIIe Reich, François Kersaudy ↩︎
- Page 179, Les Secrets du IIIe Reich, François Kersaudy ↩︎
- Page 179, Les Secrets du IIIe Reich, François Kersaudy ↩︎
- Page 178-179, Les Secrets du IIIe Reich, François Kersaudy ↩︎
Sources
- https://shs.cairn.info/les-hommes-d-hitler–9782262086749?lang=fr
- https://www.tracesofwar.com/persons/79242/Hess-Rudolf-Walter-Richard.htm
- https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_SS_personnel
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Rudolf_Hess
- https://uk.corgi.co.uk/products/messerschmitt-bf110d-vj-oq-rudolf-hess-eaglesham-scotland-10th-may-1941-aa38509
- https://asn.flightsafety.org/wikibase/177229
- Livre Les Secrets du IIIe Reich, François Kersaudy
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