Le Blutfahne : la bannière ensanglantée emblématique du parti nazi

Histoire

Si on doit bien retenir une chose dans l’Allemagne Nazie, c’est que la propagande et le régime aiment bien utiliser le passé pour créer le futur, voir le remodeler. Ils aiment utiliser et parfois dans certains cas envenimer le passé pour leur inventer un passé glorieux et héroïque, pour légitimer leur présence au pouvoir. Parmi les éléments qu’on peut retenir de ce passé du nazisme, nous pouvons parler du Blutfahne, de la « bannière de sang ». C’est une relique de référence qui a marqué la propagande et la culture nazie en s’imposant comme le symbole du sacrifice et du sang versé pour la cause.

Cette bannière fut iconique car il s’agit d’une bannière ensanglantée par du vrai sang de trois membres de la SA tués lors du Putsch de la brasserie à Munich. Elle représenta le dévouement de la SA et surtout du putsch. Mais comment une bannière peut manifester autant d’intérêt? Nous allons le découvrir dans cet article.

1923 ou la naissance d’un coup d’état

Pour bien comprendre, retournons aux origines même du nazisme, aux prémices, en 1923 à Munich. Le parti nazi, sous le nom de NSDAP, atteint des records de recrutement, atteignant jusqu’à 55 000 membres en moins d’un an et une réputation. Ils dépassent en tout point les autres groupuscules d’extrême droite et n’hésitent pas à se frotter aux communistes qui sont également en nombre à Munich.

Hitler est aussi le chef incontesté du régime nazi : il est déjà un visage auprès de la foule et il intrigue comme il obsède par ses discours comme ses coups d’éclat. Il n’hésite pas à utiliser la peur et à entretenir une violence politique sans précédent à l’égards de ses adversaires politiques comme des personnes hostiles à son mouvement, provoquant des assassinats et des violences en tout genre. On voit donc la naissance dans les esprits des « chemises brunes », les fameux SA, la milice privée et les hommes armés du parti.

Hitler effectue des actions de répression dans la région allemande de Bavière où il est le plus connu, ou il est le plus influent politiquement et le plus dynamique par rapport aux autres partis. Il va même être condamné en 1922 pour attentat à la liberté de réunion, coups et blessures ainsi qu’à une peine légère. 

Le putsch de la brasserie Bürgerbräukeller

Mais Hitler ne compte pas s’arrêter là et maintenant que son parti a bien grandi, il souhaite prendre le contrôle des institutions et du gouvernement de Bavière. Cette fois-ci, pas de violence minoritaire : mais ciblée et directe, à pleine puissance. Il travaille donc à cela et développe de nouvelles possibilités. Puis, il organise en secret un coup monté, organisé en avance à Munich visant à tenter fermement d’effectuer un coup d’état : une tentative de la prise de pouvoir par la force du gouvernement bavarois avec l’aide de Goering, RöhmRudolf Hess ou bien même Himmler, grâce aussi à la SA déjà armée.

Das Bürgerbräukeller im Rosenheimer Straße 29 (8./9. November 1933)

Cet acte de coup d’état se nomme le Putsch de la Brasserie, car tout se déroula à la Bürgerbräukeller, brasserie où Hitler faisait beaucoup de discours, à Munich. Il était prévu que les groupes armés nationalistes prennent le contrôle des gares, du télégraphe, du téléphone et des stations de radio, des bâtiments publics et des commissariats. Ce qui veut dire renverser l’autorité, la Reichwehr et la police.

Le putsch eut lieu le 9 novembre 1923 au soir et mettait en avant les putschistes avec au maximum 4 000 hommes dont moins de la moitié proviennent du parti nazi ou de la SA. Mais en face se trouvait 2 600 policiers et soldats, mieux organisés et mieux armés que les putschistes et disposant de réserves supplémentaires.

Combats violents et sanglants

A l’origine, le gouvernement bavarois devait tomber et un gouvernement provisoire se créer, car la Bavière a été vue comme un « rôle de catalyseur », sa capacité à recruter du monde, et que le parti nazi est un élément majeur du paysage politique bavarois. Mais Hitler, confiant que les autorités se soient ralliées à sa cause, néglige l’occupation de façon permanente des différents bâtiments ciblés et pousse les putschistes à maintenir leurs positions et les combats.

Le putsch est confus et mal organisé : le 3e bataillon du régiment SA de Munich ont réussi à se procure 3 000 fusils cachés dans le monastère de la place Sainte-Anne. A partir de là… plus personne ne prend plus part à aucune action, à l’exception de quelques pelotons… On affirme que cela peut venir du fait que les forces de la Reichwehr ont fait bloc et ont combattu.

Ceux qui se battent comme le groupe de Röhm n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs et la confusion règne. Des affrontements violents ont éclaté, et plusieurs personnes ont été tuées ou blessées des deux côtés. Il bluffe même dans la brasserie en faisant croire que tout était sous contrôle, sans le savoir. Également des membres de la préparation du putsch, autorisés à rentrer chez eux, ont finalement tourné le dos à Hitler et nie toute implication, ils informent la police et les médias de contrer le putsch.

Des morts et des blessés

Durant les échauffourées de ce coup d’état, le parti nazi possédait des drapeaux et des affiches à croix gammée : les premières lors d’un putsch, portés par les SA et les membres du parti nazi. Mais le combat, pensé à l’avance, fut tout de même relativement désorganisé. Les affrontements comptaient aussi de vrais tirs d’armes à feu qui fit donc des morts et des blessés, des arrêtés et des prisonniers. Seize putschistes, quatre policiers et un passant sont tués dans les affrontements.

Le Blutfahne

En fin de compte, le putsch fut manqué et aucun renversement du gouvernement bavarois n’a été proclamé. Les forces armées et la police sont restées loyales au régime en place conservateur. Mais dans les rues, on retrouve également des corps, des armes, du matériel, tous victimes du coup d’état. Parmi eux, on en retrouve un plus tacheté que les autres.

L’histoire raconte que la police ouvrit le feu sur le groupe d’hommes qui avançait vers la Feldherrnhalle portant ce drapeau. Heinrich Trambauer, le porte-drapeau, fut blessé et laissa tomber l’étendard au sol. Un autre putschiste, Andreas Bauriedl, un homme d’affaires allemand, reçut une balle mortelle à l’abdomen et s’effondra sur le drapeau, l’imbibant de son sang.

En réalité, il s’agit d’un simple drapeau à croix gammée du NSDAP, appartenant au 5e régiment de SA Sturm, mais il se retrouva imprégné finalement du sang de trois membres de la SA tués, Andreas Bauriedl, Anton Hechenberger et Lorenz Ritter von Stransky-Griffenfeld. On dit qu’il y a aussi une déchirure sur un des coins.

Le drapeau aurait pu être un débris comme un autre, mais après le putsch, l’heure est à la répression des putschistes et à leur traduction en justice devant la Bavière. Mais le porte-drapeau Trambauer qui portait ce dernier l’emmena discrètement avec lui pour le cacher et ainsi éviter qu’on lui confisque ou qu’on détruise ce dernier. Il restera caché toute la période où Hitler fut en prison en 1924 et restitué par Karl Eggers, commandant adjoint de la 6e compagnie du régiment SA de Munich à Hitler peu après sa sortie de la prison de Landsberg en décembre 1924.

L’emblématique drapeau de sang

Ce drapeau entrera dans le sacré quand il fut remis au chef de la SS Joseph Berchtold, lors du deuxième congrès du parti nazi à Weimar, le 4 juillet 1926, où il acquit le statut d’objet martyr du mouvement. Par la suite, il fut confié au SS-Sturmbannführer Jakob Grimminger, qui en demeura le porte-drapeau officiel jusqu’à la fin de la guerre et sera l’unique gardien de la relique.

Il a fallu uniquement de cela pour créer une relique unique de la personnification du sacrifice pour le nazisme. Le putsch de la Brasserie étant déjà élevé au rang d’évènement fondateur du parti durant les années qui suivirent, on retrouva alors ce fameux drapeau ensanglanté dans les déplacements et meetings d’Hitler.

Du symbole au sacré

Dès 1926, Le drapeau était sorti et utilisé lors des grandes cérémonies officielles du parti, telles que les rassemblements, lors des commémorations du putsch de la Brasserie, également lors des funérailles de hauts dignitaires ou encore d’autres événements majeurs réunissant la foule nazie. Il fut le rappel immuable et matériel du sacrifice et du sang versé par les nazis dans la lutte contre leurs ennemis.

Marche sur la Feldherrenhalle avec le Blutfahne | Bildarchiv und Grafiksammlung (POR-MAG)   Signatur: 161.604-B1  

Chaque année, durant le Reichsparteitag (le congrès du parti) que se tenait une cérémonie particulière appelée la « consécration du drapeau » (Fahnenweihe) : Adolf Hitler y consacrait les nouveaux étendards du NSDAP en les touchant avec la Blutfahne, leur conférant le sacré de ce dernier en signe de passation. On le retrouve donc très souvent partout et appartient au parti, connu de tous les fanatiques qui suivent Hitler, qui en fait un élément de convoitise et de reconnaissance unique du nazisme. Il n’était donc pas en libre accès et était stocké jusqu’en 1931 dans la salle d’honneur de la SA dans la Maison Brune, le quartier général du NSDAP à Munich, puis dans la Fahnenhalle, une autre salle de la Maison Brune.

Maison Brune | Le Blutfahne avec d’autres drapeaux

Destin hypothétique

Après les évènements majeurs, l’élection d’Hitler et le déclenchement progressif de la guerre, le drapeau est progressivement laissé de côté pour porter les armes. Le Blutfahne conservera tout son mysticisme dans l’éducation, la culture et l’histoire nazie à travers les années, jusqu’à qu’il soit vu une dernière fois lors d’une cérémonie d’intronisation du Volksturm le 18 octobre 1944. Après cet évènement, son destin s’effaça et il fut certainement perdu ou détruit suite aux bombardements ou aux destructions…

On notera comment un simple objet ordinaire peut être transformé en relique sacrée par un régime qui cherche à sacraliser sa propre violence et à le prôner haut et fort au détriment de la démocratie…

Notes infrapaginales

  1. Bibliothèque nationale Autrichienne ↩︎

Sources


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