L’Annexion et l’ultimatum forcé du territoire de Memel de 1939

GéolopolitiqueHistoire

S’il y a bien un évènement dans la géopolitique agressive et autoritaire de l’Allemagne Nazie qui a marqué l’Europe par sa radicalité, c’est bien l’annexion forcée et sans contre partie du territoire de Memel, cette petite région lituanienne depuis 1923 qui borde l’est de la Prusse. Ce petit territoire qui n’a pas plus de 20 ans lorsqu’Hitler atteint le pouvoir en 1933, a été l’objet d’une attention toute particulière de ce dernier dans les années fortes du régime totalitaire. Cette attention sera même un objectif prioritaire qui fera de Memel un symbole de la géopolitique de l’Europe face de la politique extérieure nazie. 

On trouve dans cette annexion les fantômes des annexions sauvages et passées comme l’Anschluss ou le démembrement de la Tchécoslovaquie qui sont encore alors dans toutes les têtes. L’annexion du territoire de Memel, même avec ses 4500 km2, a été le symbole de l’inactivité européenne et symbole de la volonté folle d’Hitler de créer son Lebensraum, l’espace de vie qui permettrait de faire se développer la race aryenne et regrouperait tous les germanophones dans un seul empire. Nous allons donc nous plonger dans la stratégie géopolitique des nazis et découvrir les rouages de cette annexion et de cet ultimatum qui fit basculer cette petite région dans l’Occupation.

Le territoire de Memel

Tout d’abord, le territoire de Memel est un petit territoire au nord de la Prusse qui tire son nom du château de Memel. C’est une région qu’on peut aussi appeler « région de Klaipėda », car on y trouve une ville portuaire sur la mer Baltique du nom de Klaipėda, qui est la plus importante du territoire de Memel, Memel étant sa désignation allemande. 2 autres villes sont connues, comme Heydekrug ou Pogegen sur un territoire de 4500 km² et avec environ 150 000 habitants avant la guerre.

Au départ, elle fut troublée et chamaillée entre le royaume de Lituanie et par les chevaliers Teutoniques au 17 comme au 18ème siècle, qui débouchera par l’installation et la prise de contrôle de l’Ordre Teutonique dans le région. Son histoire bascule une première fois quand le territoire devient allemand sous l’Empire allemand en 1871, puis une deuxième fois à la fin de la Première Guerre Mondiale lorsque la région, ayant appartenue à l’Allemagne défaite est confisquée par le Traité de Versailles pour passer sous administration française en 1920.

En effet, c’est l’article 99 du traité de Versailles qui fit passer ce territoire occupé en un territoire autonome sous protectorat français. C’est donc une mise sous tutelle contre la volonté d’une population largement germanique et germanophone qui est actée. Sa dislocation par l’Article 28 du Traité de Versailles cause la création du territoire mais aussi la création de la Pologne et de la Lituanie qui sont désormais des démocraties indépendantes favorables à la division de l’Empire Allemand. On observe donc une première apparition du « Memelland » et laissera des traces bien plus tard.

L’Occupation française du territoire de Memel

En 1920, c’est le début de l’Occupation : la France occupe le Memel. Le 21ᵉ bataillon de chasseurs à pied s’installe alors pour assurer le maintien de l’ordre, l’état-major et la majeure partie des troupes prenant position à Memel pour assurer leur mission confiée par les Alliés. La création de ce territoire qui ne plait guère à tout le monde va voir apparaître des révoltes et différents points de vue sur la gouvernance…

Mais le 10 janvier 1923 tout bascule. Une révolte éclate à Klaipėda de la part des milices et de l’armée lituanienne pour le rattachement de Klaipėda à la Lituanie, à cause d’une population assez importante de lituanophone et un passé qui avait été un Memel lituanien. Ils envahissent le territoire sous tutorat français. Ils avaient aussi peur de voir le territoire évoluer vers un statut d’État libre, alors les quelques 1 500 soldats insurgés ont réalisé cette révolte. Le gouvernement lituanien visait également à contrôler le port maritime, seul accès maritime viable de la région et permettrait d’améliorer considérablement le commerce et leur présence dans la mer Baltique.

La révolte de Klaipėda

Présentée comme une simple révolte locale qui durera quand même 5 jours, cette insurrection bénéficia en réalité du soutien direct de la Lituanie voisine, très favorable à leur action. Les milices rencontrèrent peu ou pas de résistance car les soldats et militaires français stationné à Klaipėda et la police allemande ne s’opposant guère à leur avancée à cause de leur grande infériorité sur place qui empêchait toute réponse adéquate.

L’armée française se retire même de la ville devant l’agression. C’est donc de cette révolte que la mise en place d’une administration pro-lituanienne fut effective. Ils réclamèrent officiellement le rattachement à la Lituanie, invoquant le droit à l’autodétermination. Le territoire va se détacher de son occupation française et de son tutorat, la France étant plus préoccupée par exemple par la Ligne Maginot ou la démilitarisation de la Ruhr plutôt que du sort d’un petit territoire lointain attribué par la Société des Nations.

Le territoire de Memel redevient lituanien : l’entre-deux-guerres

Confrontée au fait accompli de cette prise de pouvoir, la Société des Nations, principal acteur de cette Occupation dut accepter, le 17 février 1923, le transfert du Territoire de Memel à la Lituanie en tant que région autonome. La souveraineté lituanienne fut formellement confirmée en mai 1924 par la Convention de Klaipėda. On a donc en 1924 le territoire de Memel intégré à la Lituanie avec les grandes puissances (France, Royaume-Uni, Italie et Japon) comme signataires, garantissant le statut quo dans la région.

Considérant que, lors de la signature du Traité de Versailles, le statut des territoires lituaniens n’était pas définitivement déterminé ; que la République lituanienne a été reconnue le 20 décembre 1922 ;

Qu’il y a donc lieu de consacrer entre le Territoire de Memel et la Lituanie un rattachement auquel rien ne s’oppose plus aujourd’hui 

Par ce rattachement, la Lituanie reprend en main le territoire et investit considérablement dans la reconstruction et le développement du port de Klaipėda qui leur est désormais important. En plus de devenir une des principales sources d’approvisionnement, le port servira aussi aux exportations du pays.

On notera aussi que le petit territoire de Memel se dotera d’un parlement autonome, d’un système judiciaire indépendant, d’un gouverneur, d’une citoyenneté propre, de deux langues officielles, de la possibilité de lever ses propres impôts et de droits de douane, de gérer ses affaires culturelles et religieuses, de contrôler l’agriculture et la sylviculture, ainsi que de mettre en place un système de sécurité sociale pour les citoyens.

La seule ombre au tableau est la forte présence germanophone / germanophile et presque unanimement luthérienne1 qui ne fait pas bon ménage avec les lituaniens qui ont fait la révolte et la prise de pouvoir, causant alors l’émergence de groupuscules d’extrême droite…

Une population germanophone exclue mais omniprésente

Et pourtant, maintenant que la Lituanie a repris le flambeau, elle exclue tous les autres partis de la vie politique par des politiques discriminatoires malgré que les partis pro-allemands obtiennent à chaque nouvelle élection plus de 80 % des sièges à chaque élection du parlement local. Ils sont en majorité permanente. Cette différence cause donc une dissociation du gouvernement et de l’environnement politique. La région est majoritairement germanophone, malgré son annexion passée et de nombreux locuteurs lituaniens se déclarent eux-mêmes comme « Memellanders » allemand.

Il y a deux univers qui s’opposent dans des répressions et des discriminations, le gouvernement étant alors en position de force. Une opposition comme celle ci paralyse la vie des institutions et de la société du territoire de Memel. On voit donc se former parmi les germanophones des partis d’extrême droite qui se revendiquent nazies et souhaitent le rattachement à l’Allemagne et non à celle de la Lituanie.

A vrai dire, durant les années 20 à 30, les pronazis forcent le gouvernement par des revendications pour une réintégration, à l’image de l’Anschluss qui arrivera bien plus tard, à une Allemagne qui rayonne et se modernise dans l’idée d’une grande Allemagne regroupant tous les germanophones. L’émergence d’Hitler et la proximité immédiate de l’Allemagne accélère considérablement ce phénomène de détachement.

Mais cette volonté de s’émanciper devient l’objectif principal pour le gouvernement lituanien qui intensifie sans relâche les répressions et réprimande tout ce qui peut toucher de près ou de loin à l’Allemagne, culturellement ou spirituellement dans une politique d’occupation totale et sévère. Le gouvernement a des politiques construites pour lutter contre la germanisation et lutter contre l’accès aux germanophones aux administrations et aux postes de pouvoirs. Le but est véritablement d’éloigner les sympathisants à une annexion allemande de toute la vie gouvernementale et décisionnelle sur le territoire de Memel.

Hitler & l’Allemagne nazie boycottent le territoire de Memel

C’est aux environs de 1933-1934 que tout devient sérieux pour les germanophones. Le 10 janvier 1933, Hitler devient Chancelier du Reich allemand par Hindenburg. Il amène la transformation de la République de Weimar en Troisième Reich et modifie complètement la politique extérieure allemande. Dans une position agressive, les allemands se mêlent désormais des affaires des autres pays, et ici en particulier le Memel. Hitler compte bien réaliser ce qu’il avait promis dans les discours et dans Mein Kampf.

En effet, les répressions lituaniennes dans le Memel qui sont très vivaces virent parfois au drame quand des militants pronazis finissent jugés puis condamné à mort ou tout simplement arrêtés, déplaisant fortement aux nazis. Hitler accuse le coup.

En réaction à ces arrestations et aux procès qui en découlent, l’Allemagne impose un boycott des importations agricoles en provenance de Lituanie. Cette mesure provoque une sévère crise économique en Sudovie, dans le sud de la Lituanie, où des fermiers organisent des manifestations violentes et déstabilisent le gouvernement en place. Toutefois, c’est après janvier 1935 que la majorité des prisonniers et jugés pronazis bénéficient d’une amnistie spéciale qui affaiblissent considérablement le prestige de la Lituanie, tant à l’étranger que dans la région de Klaipėda, renforçant parallèlement l’influence de l’Allemagne.

L’ultimatum polonais

Mais voilà que c’est en mars 1938 qu’Hitler dirige sa volonté vers le petit territoire lituanien : il souhaite le voir intégrer le grand Reich, aux côtés de l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche, qui fut effective le 12 mars 1938 sans qu’une balle ne soit tirée par les Allemands. Hitler se sent tout puissant et fait de Memel sa priorité et son objectif principal. Comme il l’a fait avec les autrichiens, il n’hésitera pas à envoyer l’armée pour occuper le territoire si besoin. De là, la Pologne qui est l’obstacle territorial jusqu’au territoire de Memel comprend vite qu’elle peut faire l’objet d’un assaut ou d’une guerre future contre l’Allemagne.

Le gouvernement polonais, estimant le moment propice pour normaliser ses relations avec la Lituanie et craignant qu’une guerre contre l’Allemagne ne fragilise ses frontières, adressa un ultimatum le 17 mars 1938 à la région de Vilnius (zone séparant la Pologne de la Lituanie comme vulnérable et zone à défendre). Celui-ci exigeait le rétablissement des relations diplomatiques pour assurer de ne pas subir 2 fronts à la fois. En l’acceptant, la Lituanie permettait à la Pologne de libérer des troupes de la frontière lituanienne pour mieux se préparer face à l’Allemagne qui ne montre que des signes d’agressivité.

Annexion Memel ultimatum territoire 1939
Territoire lituanien avec la région de Vilnius | GFDL & all CC-BY-SA

Cet accord, dans le dos de l’Allemagne, ne change guère les plans d’Hitler qui n’a toujours qu’un seul objectif : le territoire de Memel. Et l’Allemagne profitera si un conflit éclate entre la Pologne et la Lituanie pour reprendre Memel et l’Ouest du pays tant convoité. La Heer prévoit même déjà le plan d’invasion et l’occupation.

L’Allemagne nazie fait de Memel sa priorité

Le territoire de Memel accablé par les partis et la propagande pronazie

Mais la situation s’empire encore et deviendra invivable pour le gouvernement lituanien qui tente de maintenir un semblant d’ordre face à l’Allemagne. Les répressions sont toujours d’actualité contre les activistes et les manifestations pronazies. Mais l’effet de discrimination devant réduire l’impact nazi, ne s’arrêtera finalement jamais de grandir et atteindra des sommets quand ils font quasiment entièrement parti du paysage politique lituanien, surtout quand les partis pro allemands reçoivent 87 % des suffrages aux élections parlementaires locales de décembre 1938.

Ultimatum et rattachement du territoire de Memel

L’Allemagne est véritablement dans une position de force et Hitler le sent bien. Alors il décide et demande à son ministre des Affaires Etrangères Ribbentrop d’adresser un choix ou plutôt un ultimatum oral au ministre des Affaires Etrangères de la Lituanie Juozas Urbšys. L’affront est direct, sans intermédiaire de plus. L’Allemagne exige, ordonne de la Lituanie qu’ils rendent à l’Allemagne le territoire de Memel, détaché contre leur gré à l’issue de la Première Guerre mondiale. Ils font brandir la menace d’une invasion de la Wehrmacht en cas de refus de leur part.

On pourrait penser que la région est protégée par la Convention de Klaipėda signée 14 ans plus tôt, sauf qu’il n’en est rien. Le Royaume-Uni et la France suivent leur politique d’apaisement et refusent de s’immiscer ou de défendre la Lituanie, même de l’aider, tandis que l’Italie et le Japon, soutiennent cette démarche allemande.

Annexion Memel ultimatum territoire 1939
Signature du traité de rattachement du territoire de Memel

Face à leurs alliés qui n’en sont plus, à la pression constante à l’intérieur comme à l’extérieur du pays des nazis et plus aucun bouclier européen, la Lituanie accepte l’ultimatum le 22 mars 1939, 2 jours à peine la demande initiale et 10 jours après l’Anschluss en Autriche. Le 23 mars, l’annonce est publique : le territoire de Memel est annexé par l’Allemagne à son territoire. A une heure du matin, les ministres des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop pour l’Allemagne et Juozas Urbšys pour la Lituanie signèrent un traité, rétroactif au 22 mars, par lequel la Lituanie « transférait volontairement » la région de Klaipėda à l’Allemagne. La ville reprit alors son nom de Memel et un nouveau territoire fut ajouté au Reich, sans qu’aucune intervention européenne n’eut pris la défense de la Lituanie.

Une annexion qui vient clore une longue liste…

Annexion Memel ultimatum territoire 1939

Au 23 mars 1939, l’Allemagne est à son apogée territoriale d’avant-guerre : L’Annexion de Memel fut ordonnée, l’Anschluss a été réalisé, l’Annexion des Sudètes provoquée toujours avec les mêmes ingrédients : diplomatie agressive, une population germanophone et un manque de réponse dure et centralisée des Alliés pour repousser les plans de conquête nazis.

Le même jour, À 5 heures précises du matin, l’infanterie allemande et les unités mécanisées de Prusse-Orientale étaient entrées sur le territoire de Memel et arrivent 3 heures plus tard à Klaipėda. Hitler arrive aussi et fait un déplacement express vers Klaipėda nouvellement annexée à bord du croiseur Deutschland qui s’arrête au port vers 9 h 30. Il y fit une visite personnelle des environs de la ville et y prononça un discours sur la place du Théâtre par un chemin bordé de troupes et d’une immense foule allemande et de lituaniens pro allemands.

Peu à peu, c’est la nazification de la ville et du territoire qui se produit et l’installation de la police secrète, de soldats et de l’administration d’occupation.

Hilter dans Memel

Conséquence de l’annexion pour les plans nazis

Cette annexion forcée par un ultimatum perdant d’avance pour les lituaniens laissent un goût amer aux nations européennes. A travers les cartes, ils comprennent que l’Allemagne encercle par trois frontières distinctes la Pologne et si d’autres annexions devaient avoir lieu, comme la Lettonie ou le reste de la Lituanie, cela permettrait à l’Allemagne d’avoir une frontière commune avec l’URSS de Staline… Mais Hitler voit déjà plus loin, plus important selon lui.

Quelques mois plus tard seulement, une semaine après la signature du pacte Molotov-Ribbentrop du 23 août 1939, les forces allemandes ont envahi la Pologne par l’ouest, le nord et le sud le 1er septembre 1939, en utilisant également la frontière du territoire de Memel dans son organisation. Les forces polonaises se sont retirées progressivement vers le sud-est, où elles se préparaient à une défense à long terme, en espérant le soutien et le secours des forces françaises et britanniques. Cependant, ni la France ni le Royaume-Uni ne sont venus à leur aide.

Le 17 septembre 1939, conformément au protocole secret du pacte Molotov-Ribbentrop, l’Armée rouge soviétique a envahi les régions de Kresy et créé les nouvelles frontières russo-Allemandes qui met face-à-face les 2 puissances montantes….. c’est bientôt l’entrée complète dans la Seconde Guerre Mondiale.

Notes infrapaginales

  1. Le luthérien se base sur la foi personnelle, l’autorité de la Bible et l’accès direct à Dieu. Ils croient que l’Écriture est l’autorité suprême et « s’interprète elle-même » Reddit ↩︎

Sources

  • https://hitler-pics.com/2025/03/23/hitler-in-memel/
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Territoire_de_Memel
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Ultimatum_polonais_%C3%A0_la_Lituanie
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Ultimatum_polonais_%C3%A0_la_Lituanie
  • https://www.39-45.org/viewtopic.php?f=166&t=50095
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volte_de_Klaip%C4%97da
  • https://www.hitler-archive.com/search.php?kw=memel&submit=SEARCH
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Ultimatum_allemand_contre_la_Lituanie
  • http://www.dircost.unito.it/cs/docs/MEMEL%201924.htm
  • https://mjp.univ-perp.fr/constit/memel.htm#1
  • https://gillesenlettonie.blogspot.com/2022/03/22-mars-1939-klaipeda-redevient-memel.html
  • https://exhibitions.ushmm.org/some-were-neighbors/timeline/5145-map

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