Autodafés de 1933 : quand les nazis ont détruit des livres

Histoire

Un évènement durant l’avènement de l’Allemagne Nazie a particulièrement été médiatisé et diffusé dans le monde : les autodafés des livres juifs et culturels de 1933. Il a été l’un des premiers marqueurs formels de la bascule de l’Allemagne dans la sombre période du nazisme, de la haine et de l’antisémitisme. On y retiendra forcément les images de ces tas de feu mais surtout son symbole puissant que la culture aussi est touchée et choisie par la politique pour servir ses intérêts. C’est la première mesure formelle de la mise au pas de la culture en Allemagne alors qu’Hitler vient d’arriver au pouvoir grâce au président Hindenburg le 30 janvier 1933.

Les autodafés sont représentatifs d’une époque de répression typique en Allemagne à cette époque et s’intensifiera encore jusqu’à la guerre. Mais comment les autodafés ont vu le jour et comment ce mouvement s’est développé si vite en Allemagne ? Nous allons répondre à cette question dans cet article.

Principe d’autodafé & étymologie

Autodafé : Destruction par le feu d’un objet (en particulier des livres) que l’on désavoue, que l’on condamne.

Larousse

Le mot autodafé trouve son sens dans le mot latin « actus fidei » qui signifie « acte de foi » et du terme portugais auto de fé. Il fait généralement référence à l’époque d’une exécution publique par le feu de personnes dites hérétiques et se veut démonstrative. On retrouve donc la notion d’immoler et détruire qui va ensuite créer le lien avec les livres en se nommant « autodafé des livres ». Ce dernier reprend les codes de l’autodafé classique et fait office de rituel devant être vu par le public environnant.

Le geste de brûler des livres, d’en faire un autodafé, traduit une opposition des acteurs d’ordre culturel, religieux ou politique envers les écrits détruits ou visant à être détruits. L’autodafé est alors généralement perçu comme un instrument de censure destiné à faire taire des voix jugées dissidentes ou hérétiques, considérées comme une menace pour l’ordre établi et permet de montrer visuellement que les écrits n’ont pas leur place dans la société qui les brûle.

En règle générale, ce n’est pas le livre en tant qu’objet matériel qui est visé, mais ce qu’il y est écrit comme un contenu, une pensée ou le symbole d’une culture particulière, ici celle des personnes juives et des écrits non national-socialiste. L’autodafé peut ainsi traduire un geste de mépris envers les auteurs des livres ou le message véhicule des œuvres qui vise à empêcher quiconque puisse les livres.

Cette méthode de destruction en public de biens comme les livres fera l’objet d’un mouvement tout particulier en Allemagne dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir.

Le Mouvement national-socialiste des étudiants allemands (NSDStB)

C’est alors que 1933, année où Hitler accède au pouvoir, fut le tremplin pour mettre à exécution les envies de la population soutenant le nazisme de neutraliser les partis, populations adverses et autres personnes n’étant pas de leur côté. Et c’est les étudiants en particulier qui vont mettre la main à la pâte même bien avant l’arrivée des nazis. On affirme que dès 1931, un premier levier s’est descendu quand la Corporation des étudiants allemands (Deutsche Studentenschaft, DSt) passa sous la direction d’un représentant du Mouvement national-socialiste des étudiants allemands (Nationalsozialistischer Deutscher Studentenbund, NSDStB) qui commence à devenir populaire et profita justement pour préparer le terrain idéologique basé sur la haine et les pensées nazies jusqu’à 1933, où ils furent en concurrence avec d’autres organisations. L’entité est déjà très implantée dans les différents systèmes éducatifs, le milieu universitaire en l’occurrence.

Logo du NSDStB

Et leurs actions vont payer quand le régime, trois mois après l’accession d’Hitler au pouvoir seulement, décide de renforcer l’organisation qui leur parait avoir du potentiel, car elle est déjà dans le sillage du ministère du Reich à l’Éducation du peuple et à la Propagande. Le régime les dote alors d’instances dirigeantes, et de leurs propres organes de presse et de propagande pour augmenter leur portée à travers le pays.

C’est au début du mois d’avril 1933 qu’on vit la première trace d’un possible retour des autodafés en Allemagne quand la Fédération étudiante d’Allemagne invita la NSDStB, sous la direction de Hans Karl Leistritz, à participer à une campagne de quatre semaines du 12 avril au 10 mai 1933 placée sous le thème de la lutte contre « l’esprit non allemand ». Cette action faisait déjà référence à un autodafé organisé lors de la première Fête de la Wartbourg en 1817, et se présentait comme une « action commune contre le négativisme juif ». Ils s’approprient l’histoire pour servir leur idéologie et le projet de la lutte contre « l’esprit non allemand ».

C’est alors que le milieu universitaire commença à s’imprégner des valeurs et de la lutte contre « l’esprit non allemand ». Les organisations nazifiées s’occuper d’amplifier et de faire grossir leur impact. Ce n’est plus uniquement des organisations étudiantes pour le divertissement et les loisirs, mais bien des organisations servant l’idéologie et prêtes à combattre la cause nazie et cet esprit qui n’est pas le leur. 4 semaines sont prévues et sont préparées avec le plus grand soin par les étudiants pour tout réfléchir avant de commencer cette vaste opération.

Ils évangélisèrent alors petit à petit les facultés et organismes étudiants du pays pour diffuser cette campagne et préparer le terrain, ce qui porta progressivement ses fruits. Les préparatifs voient mêle se développer une rivalité croissante entre les deux organisations de ce projet et leurs leaders respectifs de cette mouvance, le DSt et le NSDStB. Mais l’idée finale reste la même et le plan sera mis à exécution de toute façon.

« L’esprit non allemand » ou la première phase du combat politique étudiant

Mais le combat se base surtout sur 12 points qui posent les bases des actions futures. En 1933, il s’agit de la première véritable campagne organisée et structurée sous forme de tracts et d’affiches rouges placardées sur les murs partout en Allemagne. C’est la première phase d’une large campagne en préparation avant les autodafés. Elle vise la culture, les populations et les idées juives, communistes ou sociaux-démocrates. Elle touche surtout tous les aspects intellectuels (réalisations scientifiques, documentations…) et culturels (journaux, livres, œuvres…), supervisé par un membre de l’administration SS, un certain Paul Schmidt. Les 12 points et l’idée des autodafés qui vont en découler constituent l’idéologie principale qui va être adopté pour cette campagne et représente très clairement la mise au pas globale de toute une culture bien ancrée dans la population.

Les 12 points de « l’esprit non allemand »

  1. La langue et la littérature tirent leurs racines du peuple. Le peuple allemand a le devoir de s’assurer que la langue allemande et la littérature soient l’expression non corrompue de son identité nationale.
  2. Un fossé s’est actuellement ouvert entre la littérature et l’identité allemande. Ce fossé est intolérable.
  3. Pureté de la langue et de la littérature dépendent de toi ! C’est à toi que le peuple a confié la tâche de préserver fidèlement sa langue.
  4. Notre ennemi principal est le juif et celui qui l’écoute.
  5. Le juif ne peut penser que comme juif. S’il écrit en allemand, il ment. L’Allemand qui écrit en allemand mais qui publie des idées contraires à l’esprit allemand est un traître. L’étudiant qui produit des pensées et des écrits contraires à l’esprit allemand fait preuve de légèreté et trahit son devoir.
  6. Nous voulons éradiquer le mensonge, nous voulons marquer la trahison au fer rouge, Nous voulons que les étudiants se trouvent non pas dans un état d’ignorance, mais de culture et de conscience politique.
  7. Nous voulons considérer le juif comme un étranger et prendre au sérieux l’identité nationale. Nous demandons donc à la censure que les écrits juifs soient publiés en hébreu. S’ils sont publiés en allemand, il doit être clairement indiqué qu’il s’agit de traductions. La censure doit intervenir contre l’emploi abusif de la langue écrite. L’allemand écrit ne doit servir qu’aux allemands. Ce qui est contraire à l’esprit allemand sera extirpé de la littérature.
  8. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à apprendre et à faire des choix de façon autonome.
  9. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à maintenir la pureté de la langue allemande.
  10. Nous exigeons que les étudiants allemands fassent preuve de la volonté et de la capacité à triompher de l’intellectualisme juif et de ses chimères libérales sur la scène intellectuelle allemande.
  11. Nous exigeons que les étudiants et les professeurs soient sélectionnés en fonction des garanties qu’ils présentent de ne pas mettre en danger l’esprit allemand.
  12. Nous exigeons que les facultés soient le sanctuaire de l’identité allemande et le lieu d’où partira l’offensive de l’esprit allemand dans toute sa puissance.

Mais le fait de placarder des affiches ne fait pas tout et la propagande compte bien aller plus loin. Elle se dote d’un service de presse spécial destiné à largement diffuser des déclarations de soutien et d’aide émanant de responsables culturels et d’écrivains proches du courant nationaliste afin de favoriser son insertion dans le commun allemand. L’objectif de la manœuvre est de rallier l’opinion publique à la campagne et faire changer les mentalités, pour qu’uniquement la mentalité national-socialiste ne persiste. Mais l’initiative, bien trop optimiste pour 1933 et une population encore divisée entre les différents partis, n’a rencontré qu’un faible succès. Les professeurs furent aussi boycottés pour la jeunesse, les centres de jeunesse subirent le même sort et la culture commença petit à petit à se museler, se restreindre, voir même atterrir dans le domaine de l’interdit pour tous les ouvrages non nazis.

autodafés 1933 Opernplatz opéra nazi
10 mai 1933 | Gaumont Pathé Archives

26 avril 1933, Seconde phase de la campagne de propagande : la généralisation

Quelques mois plus tard, le 26 avril 1933, 6 jours après l’anniversaire d’Hitler, la notion d’autodafé commence à avoir son importance et la campagne de propagande prend une tournure radicale et sans équivoque. Il ne s’agit plus de seulement boycotter, maintenant il s’agit de la collecte des « écrits à détruire ».

Comme il s’agit au départ d’une initiative du NSDStB, les étudiants sont invités à trier et à commencer par « nettoyer » leurs propres bibliothèques, ainsi que celles de leurs proches, en éliminant les ouvrages jugés « nuisibles » et « indésirables ». Ils récupèrent les livres pour mieux les contrôler et ensuite les détruire. Ils doivent ensuite faire cela dans les lieux publics, passer au crible les bibliothèques universitaires et les collections des instituts et des écoles. C’est une véritable chasse au livre qui se crée en Allemagne : les bibliothèques publiques et les librairies font l’objet de perquisitions destinées à repérer les livres « méritant d’être brûlés ». Une immense quantité de livres sont récupérés et aucun n’est épargné.

Il en va de même en dehors du milieu scolaire, les bibliothèques municipales et publiques communales ou de ville reçoivent formellement l’ordre d’effectuer elles-mêmes le tri et de se récupérer volontairement des ouvrages incriminés, même s’ils sont empreintes. Les étudiants peuvent faire ces actions car ils bénéficient du soutien de leurs professeurs et des recteurs, également petit à petit dans le mouvement, qui ne se contentent pas d’assister aux autodafés mais participent directement aux commissions chargées d’établir la liste des ouvrages voués au bûcher et sont parties intégrantes du processus des autodafés.

autodafés 1933 Opernplatz opéra nazi
Wikimedia Commons

L’action des étudiants accède au milieu professionnel : libraires et bibliothécaires y adhèrent également pleinement. Tous les grands acteurs du livre publient et commentent la liste des ouvrages interdits pour mieux informer la population de la possession d’un livre interdit est formellement répréhensible. La revue des bibliothécaires souligne d’ailleurs que la majorité des titres à détruire sont des ouvrages d’auteurs juifs. Les professionnels concernés par les saisies ne protestent pas, ils adhèrent au projet purement et simplement.

Partout en Allemagne, les ouvrages sont détruits et finissent brulés dans des autodafés de quelques livres jusqu’à des grands buchers avec l’aide d’une petite flamme que tout le monde peut créer. Les livres sont brûlés, réduits en cendre, comme s’ils n’avaient jamais existé. Les autodafés en ce sens vont se généraliser et s’agrandir à mesure que les listes se créent et s’alimentent de jour en jour, comme un projet national majeur qui investit tout le monde. On retrouve cette image lors du vaste autodafé du 6 mai 1933, lorsque l’Institut de sexologie de Berlin est pillé, vandalisé, puis incendié dans la foulée. Les livres furent machinalement transportés par camions jusqu’au bûcher et des milliers d’ouvrages sont alors livrés aux flammes, devant les saluts hitlériens de toute une population galvanisée par l’évènement.

10 mai 1933, la « Nuit de la honte » : l’autodafé de l’Opernplatz de l’Opéra de Berlin

Mais 4 jours après, les étudiants nazis firent encore plus grand que l’autodafé de l’institut de Berlin. Véritable symbole et point culminant du mouvement, l’autodafé de l’opéra de Berlin a constitué une étape symbolique et sans retour.

C’est Goebbels qui va organiser ce dernier devant l’université Humboldt, renommé dans le monde entier, aux alentours de 23h, en appelant des membres de la SA a jeter plus de 20 000 à 25 000 volumes d’auteurs, poètes, philosophes, écrivains et savants préalablement récupérés dans les flammes d’un gigantesque brasier érigé sur l’Opernplatz de Berlin. Comme à chaque fois, une cérémonie est organisée avec des responsables locaux d’organisation, comme pour sacraliser les autodafés. On estime à plus de 70 000 personnes qui ont fait le déplacement et participent à l’évènement.

À la tombée de la nuit, une marche aux flambeaux semblable à celle au moment de l’accession au pouvoir d’Hitler conduira les ouvrages jusqu’au bûcher, avant que les festivités ne s’achèvent autour d’un feu de joie organisé. Les comités étudiants sont invités à suivre ces directives avec le plus grand soin et à mettre en scène la cérémonie de manière aussi solennelle que possible, car entre 23 heures et minuit, l’événement doit faire l’objet d’un reportage diffusé sur les ondes de la radio nationale et offrir aux auditeurs un spectacle historique et devenir un exemple.

autodafés 1933 Opernplatz opéra nazi
Bundesarchiv, Bild 102-14597 / Georg Pahl / CC-BY-SA 3.0

Ici sombre la base intellectuelle de la Révolution de novembre

Goebbels devant la foule, faisant allusion à la chute de l’Empire en 1918 et à la naissance de la République de Weimar, un régime qu’il juge fondamentalement contraire à « l’esprit allemand ».

Toujours sous l’organisation des organisations étudiantes nazies et du NSDStB, l’autodafé majeur organisé de cette nuit du 10 mai 1933 fut surnommée plus tard la « Nuit de la honte ». Il deviendra un exemple pour tous les autres autodafés. Ce dernier est reproduit dans toutes les universités d’Allemagne. Les autorités locales et la police prêtent volontiers main-forte aux étudiants pour retirer des bibliothèques publiques les ouvrages jugés indésirables et les livrer au feu. Les facultés et conseils universitaires ne disent rien : toute la population encore une fois est collaborateur de cette gigantesque organisation de destruction et de haine contre l’opposition. Les autodafés furent réalisés dans plus de 21 ville universitaires allemandes : Bonn, Brême, Breslau, Brunswick, Dortmund, Dresde, Francfort-sur-le-Main, Göttingen, Greifswald, Hanovre, Hannoversch, Münden, Kiel, Königsberg, Landau, Marbourg, Munich, Nuremberg, Rostock, Worms et Wurtzbourg.

10 mai 1933 | Gaumont Pathé Archives

Conséquences et prolifération des autodafés

Après ce 10 mai 1933 qui a marqué les esprits, la vague d’autodafés se poursuit et se propage en dehors des universités : Neustrelitz le 13 mai, Neustadt an der Weinstraße le 14 mai, Offenbach le 22 mai, Hambourg le 30 mai à l’initiative de la Jeunesse hitlérienne et du Bund Deutscher Mädel (BDM), puis Neubrandenbourg le 31 mai, puis Heidelberg, Karlsruhe, Offenburg et Pforzheim le 17 juin, puis Essen, Darmstadt et Weimar le 21 juin et enfin Mayence le 23 juin.

Les manœuvres comme celle-ci dispersées partout en Allemagne provoquent une partie importante de son développement et certaines figures intellectuelles, telles que le philosophe Martin Heidegger ou le compositeur Richard Strauss, finissent par quitter le pays malgré qu’ils s’étaient ralliés dans un premier temps au régime. Il y a donc un fort exil d’une grande partie de l’élite intellectuelle allemande et des grands cerveaux de l’époque, à l’image d’Albert Einstein et de physiciens renommés.

On estime à environ 70 rassemblements et autodafés qui ont été réalisés dans toute l’Allemagne sur toute l’année 1933, ce qui fait de ces évènements des pionniers dans la radicalisation de la population et prouve le basculement complet de politique et d’idéologie avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir. S’en suit pendant ce temps l’obtention en mars de la majorité absolue d’Hitler au Reichstag, l’entrée en vigueur des pleins pouvoirs pour ce dernier, la déclaration du parti unique et les prochaines sévères répressions contre les juifs, communistes et sociaux démocrates. L’Allemagne n’est alors qu’en 1933…

Sources


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