Le succès m’avait choisi […] Mais qu’est-ce que le succès, après tout ? Une question de chance, de providence ? Ce qui compte parmi les hommes, c’est d’avoir le cœur d’un combattant et de se donner corps et âme à la cause qu’il sert.
Günther Prien
Parfois, il faut peu de choses pour que le destin soit marqué à tout jamais, qu’il impacte le moral ou les capacités d’un pays tout entier. D’autant plus dans la guerre sous-marine des U-Boots, qui a frappé l’Atlantique sud et nord durant la Seconde Guerre Mondiale. La plupart des évènements marquants sont de suite utilisés pour servir l’idéologie et la propagande, comme dans toute guerre. On utilise cette prouesse humaine ou technologique pour servir son besoin. On dénombre une bonne quantité d’histoires folles ou vraiment impressionnantes, comme celui du HMS Venturer, tirant presque à l’aveugle, touche et coule le U-864, alors possédant à son bord une cargaison très secrète qui fut perdue. Ou encore, il peut arriver que cela soit l’inverse, que la torpille, la mine, l’obus passe à côté de sa cible.
Mais dans le cas du célèbre U-47, il a suffi d’une torpille, d’une nuit calme et d’un commandant téméraire pour que l’Histoire soit écrite en sa faveur. Guidé par son commandant hautement décoré Günther Prien, fanatique du nazisme, ce dernier a mené son « loup-gris » là où seulement 2 -Boots durant la Première Guerre Mondiale n’était encore allé : dans la baie britannique fortifiée de Scapa Flow. Il a même réussi à couler un navire, le cuirassé HMS Royal Oak de 29 150 tonnes, en service depuis plus de 20 ans. Mais comment cela était il possible ? pourquoi cet évènement est un fondamental de la U-Bootwaffe1 ? Nous allons voir dans cet article tout le spectre du « Taureau de Scapa Flow », le U-Boot qui a montré à la Royal Navy qu’il n’était pas impossible d’entrer dans leurs ports les plus impénétrables….
Le jeune loup Günther Prien
L’Homme derrière ce naufrage est Günther Heinrich Prien. Il est né le 16 janvier 1908. Le jeune Günther est issu d’une famille relativement pauvre d’Allemagne, plus précisement à Osterfeld dans le Thuringe. Il est l’aîné d’une famille de 3 enfants, il a 1 frère et une sœur. Son père était juge et sa mère peintre. Il se révèle une passion qui changera sa vie, la mer. En 1923, encore bien jeune et à 15 ans, Günther Prien comme tous les allemands subissent les conséquences de la crise économique d’après-guerre. L’Allemagne s’enfonce alors dans une crise économique et sociale dévastatrice qui ne fait que sombrer et crouler sous les dettes et les restrictions européennes à son égard. Alors le jeune Prien tente de subvenir aux besoins familiaux en enchainant de petits travaux à côté des cours, comme livreur à côté de ses études.
Le jeune Prien prend son envol du foyer famillial
Mais Günther Prien rêve d’autre chose, il veut suivre sa vocation maritime et décide d’abandonner ses études normale. Après plusieurs années de travail et d’études comme marin, Prien réussit les examens requis et devint quatrième officier sur un paquebot. Il quitte également le foyer familial pour intégrer la marine marchande en Allemagne, en premier lieu sur des voiliers puis des embarcations plus grandes comme le Hamburg qui lui permettra d’acquérir une très solide expérience maritime. Mais Prien poursuit toujours son rêve d’envol et n’a pas oublié son ambition tenace de devenir marin, mais aussi par la nécessité d’aider financièrement ses parents pour sortir des problèmes de la crise.

C’est donc comme simple matelot qu’il travaille pendant huit ans, perpétuellement entre navigation et dur labeur qui va lui ouvrir les portes de la marine allemande.
En 1931, toujours dans la marine marchande, Prien évolue à grande vitesse et accède au grade de capitaine à seulement 24 ans. Pourtant, sa carrière si prometteuse s’interrompt brutalement l’année suivante, quand il est victime d’une vague de licenciements liée à la crise économique qui fait rage : il se retrouve sans emploi du jour au lendemain. Il décide alors en 1932 de rejoindre le parti du NSDAP, alors en phase de bientôt gouverner le pays, dans l’espoir d’obtenir une bonne orientation dans de potentiels futurs emplois.
Entrée dans la Reichsmarine
C’est en janvier 1933 que voit le jour la toute nouvelle Reichsmarine, qui est l’héritière de la Marine impériale du Kaiser. Dès lors, les recrutements vont à bon train et Prien profite, la marine lui ouvre ses portes et il peut retourner à la mer. C’est à ce moment que le jeune matelot va réaliser à nouveau une ascension folle.
Il passa 2 ans sur le cuirassé Königsberg et en Octobre 1935 il fut affecté chez les sous-mariniers avec le grade d’Enseigne de Vaisseau de Seconde Classe (Leutnant zur See). Il a été entouré des futurs grands noms durant la guerre comme Schepke (173 111 GRT à sa mort en 1941) ou bien Herbert Schultze (179 165 GRT à la fin de la guerre). Suite à cette forte expérience acquise, Prien devient marin du U-26 de type IA, l’un des 2 premiers sous-marins (avec l’U-25) de haute mer de la Kriegsmarine. Etant donné qu’on est encore en 1935, l’U-26 ne fait que patrouiller dans les eaux espagnoles durant la guerre civile qui fait rage en Espagne et où l’Allemagne prend une part du conflit. Il en tire tout de même de précieux enseignements.
Le U-26 se révèlera performant, avec 11 bateaux coulés pour 48 645 GRT dans toute sa carrière, ce qui permit à Prien d’être au cœur du contexte de la guerre et d’obtenir de l’expérience. Il sera mis en avant dans la Kriegsmarine, qui se prépare à la guerre.
Prise du commandement du U-47
Prien intègre donc les toutes premières forces sous-marines de la Kriegsmarine et en 1937. Il prend le commandement avec le grade de Kapitänleutnant2 du bâtiment U-47 de type VIIB qui fera sa renommée. A seulement 30 ans, en 1938, Prien est le plus jeune officier allemand aux commandes d’un bâtiment de guerre et d’autant plus sur un sous-marin dernière génération.
L’emblème du sous-marin de Prien est un taureau qui s’ébroue, tiré d’une bande dessinée que l’équipage avait à bord du sous-marin. Ce dernier deviendra mondialement connu et redouté au naufrage du Royal Oak et donnera le surnom de « Taureau de Scapa Flow » à son commandant.


Mais pour l’heure, il n’a pas encore combattu dans une véritable guerre ouverte malgré sa forte expérience maritime. Il est alors prêt et destiné au combat dans la guerre qui se déclenchera en 1939. C’est alors que le U-47 va entrer en scène et commencer à se faire connaitre.
Le sous-marin aux 30 bateaux coulés, le U-47
Classé dans le top des meilleurs sous-marins de la Seconde Guerre Mondiale, le U-47 s’est révélé très efficace au combat. L’U-47 est un U-Boot de type VII classe B : il s’agit d’un type de sous-marin spécialement conçu pour la guerre et est destiné à attaquer des bâtiments et embarcations ennemies. Ce type de U-Boot sera produit à 24 exemplaires avant que son modèle amélioré, le U-Boot de type VIIC ne devienne la grosse cavalerie de la Kriegsmarine avec plus de 577 bâtiments produits. On notera que ce type de sous-marin a vu sortir de l’ombre de grands noms, comme le « Roi du Tonnage3 », l’As des As Otto Kretschmer avec le plus de destruction en haute mer jusqu’à aujourd’hui (262 203 GRT4) ou encore Schepke et ici Prien. Il s’agit donc un sous-marin d’exception.
De part son commandant Prien, tout l’équipage a contribué également à sa réussite. Commandé en 1936, mis en calle en 1937, lancé et mis en service le 17 décembre 1938, il fut utilisé comme sous-marin d’active et d’entrainement pour les équipages jusqu’à la guerre. L’U-47 passa toute sa carrière au sein de la 7ème flottille de combat5 Unterseebootsflottille « Wegener », aux côtés de 111 autres bâtiments, qui porte d’ailleurs l’emblème du taureau du U-47. Il participe à une seule meute 6qui porte le nom « Prien » avec 6 autres sous-marins en 1940.

254 670 tonnes de marchandises détruites en 10 patrouilles
Il embarque 45 hommes, dont Prien qui en est le commandant. L’U-47 effectuera 10 patrouilles de guerre qui seront toutes relativement victorieuses, variant le tonnage de destruction de 1 100 tonnes à plus de 51 000 tonnes. Il passera 246 jours en mer, détruisant 30 bateaux et en endommageant 8 autres avec un total de destruction de bateaux et de marchandises ennemies atteignant 254 670 tonnes, ce qui est exceptionnel pour un sous-marin. C’est le 13ème meilleur palmarès de destruction de la Kriegsmarine sur les 1 154 U-Boots mis en service actif. Il fut particulièrement connu grâce au naufrage du HMS7 Royal Oak que l’on va détailler.

5 jours après le début de la Seconde Guerre Mondiale ayant débuté le 1er septembre 1939, il détruit son premier navire britannique, le Bosnia. Puis la liste va s’agrandir et les premiers mois de guerre montrent déjà que Prien joue dans la cour des grands. Il reçut la croix de fer 2de classe, puis 1ère classe un peu plus tard. Un mois plus tard, en octobre, il reçut la prestigieuse croix de chevalier de la croix de fer. Il est très prometteur à son poste de commandant à son grande de Kapitänleutnant et la guerre ne fait que commencer…
La baie de Scapa Flow
Mais avant de commencer à parler de la mission de Prien, il serait intéressant de comprendre quel est cette fameuse baie fortifiée jugée impénétrable. Scapa Flow est une baie de 312 km2 située à la pointe nord du Royaume-Uni dans l’Océan Atlantique, au nord de l’Ecosse. Avec plusieurs îles formant l’archipel des Orcades, elles forment ce qu’on appelle le Scapa Flow.
Cette baie, c’est-à-dire une étendue d’eau partiellement renfermée par des terres et reliée à une masse d’eau plus importante comme des fleuves, permet l’ajout d’un port naturel très pratique, car on peut l’apparenter à un mer plus petite et plus profonde. Cette baie permet de créer un couloir plus petit avec seulement 60 mètres de profondeur, assurant un tirant d’eau8 plus bas facilitant les manœuvres des bâtiments pour entrer ou sortir du port avant de rejoindre d’autres baies, fleuves ou mers.
Port naturel et base de la Royal Navy
Forcément, ce port naturel de Scapa Flow a de bons atouts stratégiques et militaires et même avant la guerre elle servait déjà de point de rassemblement de la Royal Navy à l’époque des guerres napoléoniennes. En 1905, elle est aménagée en zone d’exercices, puis en base temporaire dès 1910. Finalement, en 1913, elle devient la base principale de la Grand Fleet9, dans le but de contrer la montée en puissance de la flotte allemande qui se fait de plus en plus importante et menaçante.
Mais lors de la Première Guerre Mondiale, les sous-marins apparurent et le danger qu’un bâtiment ennemi ne rentre dans la base de Scapa Flow était trop grande. Pour y palier, les Britanniques procédèrent à la destruction de vieux navires aux différents accès pour obstruer les passes et éviter que les sous-marins ne puissent passer en immersion totale. Mais cette protection n’est pas vraiment mise en avant et les Britanniques ne considèrent pas encore les sous-marins comme fiables et ne redoutent pas qu’un sous-marin parviennent à entrer dans la baie sans se faire repérer.
Au delà de des caractéristiques naturelles de la baie, d’autres aspects montreront que la base est difficilement accessible : des hauts-fonds, marées imprévisibles et courants puissants rendent son accès difficile ou limitée.

Les erreurs permettent d’apprendre
Pourtant, la Royal Navy déchante rapidement et les U-Boots commencent déjà à tester la base. Le 22 septembre 1914, en mer du Nord, l’U-9 coule trois croiseurs britanniques en moins d’une heure avec six torpilles. C’est là un gros coup de massue pour les Britanniques se pensant à l’abri : la menace sous-marine devient une obsession.
L’amiral Jellicoe en charge de la Grand Fleet amarrée en partie à Scapa Flow réagit aussitôt. Il ajoute des batteries renforcées et des filets tendus à l’entrée de la baie. En octobre, l’U-9 tente d’y pénétrer à nouveau mais échoue. Le 23 novembre, un autre tente sa chance, l’U-18, et réussit à entrer par un accès différent, à Hoxa Sound, avant d’être repéré, éperonné et forcé à se rendre.
Mais 2 sous-marins qui entrent dans le port est encore trop pour être à l’abri, la défense est renforcée : patrouilles accrues, chaînes et filets anti-sous-marins, surveillance hydrophonique et mines contrôlées à distance bordent désormais les accès. Le 28 octobre 1918, le sous-marin UB-116 est anéanti en tentant une ultime incursion. Dès lors, plus aucun ne tentera sa chance, la baie de Scapa Flow est alors jugée inaccessible et impénétrable, du moins jusqu’au début de la Seconde Guerre Mondiale…
Comme une envie de vengeance…
Le site de Scapa Flow occupait une place symbolique pour les marins allemands de la Première Guerre en particulier, car c’est là que la Marine Impériale avait été détruite en 1919 à la suite du Traité de Versailles. Mais quelques années plus tard, c’était la Home Fleet britannique qui flottait sur les restes de la puissance navale allemande dans ce port protégé…
Les renseignements ont démontré un grand nombre de cuirassés alignés et de navires importants. Rien que cette idée de pouvoir atteindre et détruire ses bâtiments de guerre suscitait une tentation forte chez les marins comme les aviateurs allemands, semblable à celle que ressentiraient les Japonais deux ans plus tard à Pearl Harbor. Même si un sous-marin d’attaque était voué à l’échec ou n’arrivait pas à son but, juste l’idée de couler un cuirassé britannique et semer la terreur au sein de la Royal Navy en valait la peine pour les Allemands.
Il fallait venger la flotte impériale, celle qui avait fait la renommée de l’Allemagne quelques années auparavant.
L’Opération Spéciale P
Mais cette envie de vengeance bien allemande va s’organiser plus sérieusement, en particulier par le Großadmiral Karl Dönitz, le commandant en chef de la Kriegsmarine du Reich. Le 8 octobre 1939, alors que Prien revient à peine de sa première sortie victorieuse en mer – une patrouille d’exception avec 3 navires coulés – qu’il est demandé par Dönitz pour une tâche de la plus haute importance que lui seul a les états de service nécessaire pour la réaliser.
Une opération audacieuse pour un commandant audacieux et téméraire
Prien ne sait pas encore qu’il s’agit de la mission qui changera sa vie. Une fois sa rencontre avec Dönitz, il lui expliqua l’ensemble d’un plan nommé « Opération Spéciale P » (P pour Prien) qui prendra place à Scapa Flow. La baie est désormais fortifiée et a été impossible depuis la Première Guerre Mondiale qu’un navire allemand puisse y accéder. La question est simple, les conséquences peuvent être grandes et les chances de réussite sont plutôt minces.
Etant donné que la flotte principale Britannique était accosté depuis le 6 septembre au port de Scapa Flow, il existait un monde où il fallait tenter le tout pour le tout afin de détruire un maximum de navires, à l’image de Pearl Harbor pour les Japonais en 1941. Tout était là, sagement amarré au quai et Dönitz comptait bien en profiter pour mettre à mal la Royal Navy. La nuit du 13 au 14 octobre fut choisie pour réaliser l’opération, période durant laquelle les deux périodes d’étale de mer10 se dérouleraient dans l’obscurité, facilitant l’accès à Prien. On retiendra aussi qu’il s’agit d’un vendredi 13…
De plus, Dönitz avait terriblement besoin de moyens pour augmenter et armer la Kriegsmarine qui était sur le plan secondaire depuis le début de la guerre (Dönitz avait demandé 300 sous-marins pour débuter la guerre et stopper la flotte britannique, il n’en eut que 57.). Il voulait démontrer l’utilité des sous-marins allemands auprès de l’état-major en faisant introduire un d’entre eux dans la baie de Scapa Flow. C’était la fenêtre de tir parfaite pour ce qui est prévu pour être également un raid. Une fois l’ensemble des éléments de la mission énoncés, Dönitz attend l’approbation et le ressenti de Prien.
Pensez-vous qu’un commandant déterminé pourrait faire entrer son navire à Scapa Flow et attaquer les forces ennemies qui y sont stationnées ?11
Prien prépare son infiltration dans la baie de Scapa Flow
Dönitz laisse 48 heures à Prien pour prendre sa décision et savoir s’il sera le commandant pour cette mission. Etant donné la difficulté d’accès de la baie, un seul sous-marin devait opérer. Pour ce sous-marin, il fallait un commandant téméraire et avec un courage qui impose le respect : Prien fut le profil parfait, mais il n’a pas pour autant encore dit oui au Großadmiral.
Il a désormais la mission d’examiner les cartes, les photos et les renseignements accumulés pour proposer une méthode d’attaque. A vrai dire, Prien a tout analysé en détail, chaque entrée de Scapa Flow fut traitée grâce aux multiples renseignements que possédait Dönitz sur la baie. Au terme des 48 heures, Prien retrouva Dönitz qui n’attendait que sa réponse. Sans hésiter, Prien accepta la mission qu’il lui avait proposé.
Je ressentais une tension immense. Serait-il possible d’y parvenir ? Mon bon sens me le demandait, mais, par ma volonté, j’avais déjà décidé que c’était possible. À la maison, le dîner était déjà servi. Distraitement, j’accueillis ma femme et mon enfant, car mes pensées étaient obsédées par la seule idée de Scapa Flow.12
Une semaine plus tard, Prien prépara l’U-47 et son équipage. Il ne révéla rien de cette mystérieuse mission. Quittant le port de Kiel, il prit la direction de Scapa Flow dans une grande discrétion et dans le plus grand des calmes. La mission lancée, ils ne pouvaient plus faire marche arrière. Dans le U-47, de grands noms s’y trouvent et deviendront des as de la guerre sous-marine, comme Englebert Endrass, le premier officier de Prien, qui coulera 19 navires en tant que commandant du U-46 plus tard dans la guerre.
Départ de Kiel en toute discrétion
En partant, l’U-47 se fit discret en s’engageant en mer du nord. Prien le savait, il ne fallait prendre aucun risque. Il longea les côtes avant de remonter les bords de la Norvège.
Le 12 octobre, il fait totalement nuit. Prien n’avait que ses cartes pour se guider et après avoir navigué à l’aveugle, aidés uniquement par le son et l’expérience, ils firent surface afin de vérifier leur position, voir s’ils étaient avancés ou non. Dans cette nuit, les Britanniques allumèrent des feux côtiers et pour la plus grande surprise de Prien, ils se trouvaient justement au large des Orcades, à côté de Scapa Flow à moins de 1,8 mille nautique du point prévu : une prouesse de navigation et une belle étape de franchie. C’est à ce moment que l’équipage fut informée de la mission que le grand chef de la marine lui avait confié.
La suite fut calme, il était temps d’entrer dans Scapa Flow. Prien fit poser le sous-marin à 83 mètres de profondeur, sans bouger. Il voulait s’assurer et préparer l’équipage à la manœuvre très périlleuse à venir. Alors pour économiser ressources et ne pas se faire repérer durant cette nuit, il fallait que le sous-marin devienne une tombe, immobile, tout comme son équipage.
Demain, nous entrerons dans Scapa Flow
12 octobre 1939, la nuit de préparation aux portes de Scapa Flow
Le jour d’après, l’équipage du U-47 organisa un grand festin pour profiter une dernière fois avant de tenter d’entrer dans la baie fortifiée. Il fallait s’attendre à tout et également avoir en tête qu’il y avait de fortes chances que cette dernière échoue. De ce constat, les marins préparèrent le bâtiment dans l’idée de le saborder ou en cas de capture. Des explosifs furent installés, gilets de sauvetage accrochés, badges arrachés et un personnel frais et reposé. A 19h, Prien prit la décision qu’il était temps d’y aller.
L’U-47 rallume donc les moteurs et il fallut attendre 15 minutes pour que ce dernier fasse surface. Dès lord, le sous-marin se mit à avancer, lentement, doucement vers le détroit de Holm, une des entrées fluviales de Scapa Flow. Il fait le moins de vagues possibles et zigzag entre les navires échoués et les obstacles. Tout l’équipage retient son souffle car il va falloir aller là ou d’autres ont échoués.
4 heures et un objectif
4 heures, c’est le temps que l’U-47 prit pour accéder à Scapa Flow. Il progressa dans le détroit de Holm, plongeant pour éviter le trafic de surface et luttant pour garder le cap dans des eaux agitées typiques de la baie. Le timing n’était pas idéal et Prien pensait à reporter la mission, mais maintenant qu’ils étaient dedans, il fallait continuer, de plus que la marée montante s’engouffrait encore dans la baie. Le sous-marin s’engagea ensuite dans le détroit de Kirk, plus petit que celui de Holm, emporté comme un canoë dans des rapides et avec de fortes vagues.
Prien visa l’ouverture entre les navires Tamise et Soriano, espérant franchir les câbles et les fils tendus sous l’eau. Les aussières sous le sous-marine frottèrent la coque, puis l’U-47 vira brusquement à tribord et s’échoua sur un fond, immobile.
Pour rester bas dans l’eau, Prien avait inondé partiellement le sous-marin. Il ordonna alors de purger tous les ballasts que contenait le bâtiment. L’U-47 se dégagea du banc de sable pour retrouver une totale mobilité et pour retrouver le courant. Le chenal, la partie la plus profonde d’un cour d’eau, s’élargit, le courant faiblit pour retrouver un calme environnant, et à 00h27, Prien nota dans son journal de bord :
Nous sommes à Scapa Flow

00h27, Prien et l’U-47 sont dans la baie de Scapa Flow
Pour la 3ème fois dans l’histoire, un sous-marin allemand est entré à Scapa Flow, malgré toutes les fortifications spécialement conçues contre les sous-marins. Mais cette fois, c’était différent, comme un avant-goût de revanche, dans ce sanctuaire des vestiges de la flotte allemande.
Il continuait d’avancer doucement et lentement pour ne pas se faire repérer et devoir partir : quitte à avoir fait tout ce chemin, il fallait qu’il soit rentable. Maintenant, l’objectif pour Prien était de repérer et de couler la flotte Britannique qui y était stationnée. Mais il ne trouva jamais la flotte complète, car la Kriegsmarine avait décidé de positionner sa flotte en mer du nord pour attirer la Home Fleet britannique, afin qu’elle soit à portée de la Luftwaffe.
C’est donc un défaut d’information et d’organisation qui ne permit pas à Prien d’avoir le plaisir de choisir ses cibles. Il continua sa recherche de proies et de cibles à viser. C’est alors à un moment qu’il aperçoit une ombre d’un premier gros navire, qu’il pense être un navire de guerre de classe Royal Oak, sauf que c’est le HMS Royal Oak lui même. Puis, il en aperçoit un deuxième. Seule la proue du second navire était visible, à environ un mille derrière celle du HMS Royal Oak. Faute de meilleures indications et dans la nuit, l’équipage entrain d’observer l’identifia comme le HMS Repulse. En réalité, il ne s’agissait que du HMS Pegasus, un porte-hydravions de 6 900 tonnes.

Le loup dans la bergerie endormie
Désormais, 2 bâtiments sont dans le viseur du U-47 : le transporteur d’hydravions HMS Pegasus et le cuirassé HMS Royal Oak de 29 150 tonnes et en activité même s’il est vieillissant. Il s’agit des 2 seuls bâtiments avec des pétroliers qui se trouvaient cette nuit là dans la baie de Scapa Flow.
Et comme un loup dans une bergerie endormie, personne à Scapa Flow n’est au courant de la présence du U-47 et l’ensemble des équipages et des marins à quai dormaient paisiblement. Coup de chance cette nuit là, le HMS Royal Oak était chargé en munitions, en vivres et tout l’équipage était à son bord prêt à partir combattre le matin levé. Alors maintenant, il ne restait plus qu’à s’orienter et tirer sur les 2 gros bâtiments qui enviaient n’importe quel sous-marin.
Mais Prien ne perd pas son sang-froid. Toujours en surface, l’U-47 poursuivait son approche pour diminuer les chances de les louper. Le premier officier Endrass, posté au-dessus du périscope principal, préparait l’attaque et envisageait les possibilités. Endrass comptait donc tirer juste après son étrave, en visant également le Repulse, situé à près de cinq kilomètres. Deux torpilles étaient toutefois réservées au HMS Royal Oak lui-même qui était de toute façon assuré de couler.
Prien ordonne alors le chargement des torpilles dans les tubes et le compte à rebord est lancé : c’est désormais une question de temps.
00h58, quand le destin n’est pas en sa faveur
00h58, dans la nuit sombre du sanctuaire de Scapa Flow, 3 torpilles G7e sont tirées et éjectées à l’extérieur du U-47 en direction de sa cible conformément au plan. Désormais, il ne suffira que d’entendre une explosion ou une détonation au loin pour savoir si elles ont atteint leurs but. Tout l’équipage reste concentré.
Quelques minutes plus tard, une première détonation retentie, elle fut la plus discrète et la torpille explosa et sectionna la chaîne de l’ancre du HMS Royal Oak. Mais l’équipage du HMS Royal Oak crut d’abord à une explosion dans le bateau lui même : ils étaient loin d’imaginer que c’était une torpille qui avait touché leur bâtiment. Ce qu’ils ne savaient pas encore, c’était que ce dernier avait désormais des fuites et prenait l’eau petit à petit, sans qu’aucun marin n’en prenne conscience.
Les deux autres torpilles tirées sur le HMS Royal Oak ratèrent leur cible… Il ne reste alors qu’une torpille dans le tube arrière, mais sans grand espoir qu’elle parvienne à sa cible. En effet, cette dernière même lancée, ne fit pas de succès. Dans la fosse aux lions, Prien n’arrivait pas à profiter un seul instant de cet avantage gigantesque que d’être dans la baie de Scapa Flow par des défauts de torpilles.
Ne pas repartir sans succès de Scapa Flow
Il ne recule pourtant pas et décide de ne pas de repartir. Malgré le risque d’alerte très élevé et déjà plusieurs torpilles tirées dans cette petite baie, il fit faire demi-tour à l’U-47 pour réaliser une manœuvre de retournement pour présenter les tubes avant. Les tubes arrière étant en rechargement après les tirs ratés, ils pouvaient utiliser les tubes avant qui étaient prêts à ce moment. L’équipage rechargera en urgence, le premier de Prien prit de nouveau l’initiative de la visée pour un nouveau tir qui changea le destin de son équipage.

3 minutes pour écrire l’Histoire
C’est donc de nouveaux tirs qui sont effectués. Trois torpilles furent rechargées à la hâte, en attendant le rechargement des tubes arrière, puis tirées depuis l’avant du sous-marin, face à sa cible.
Il fallut trois longues minutes pour ajuster la visée sur le gigantesque HMS Royal Oak qui était en face d’eux. À 1h16, les torpilles frappèrent son flanc tribord et explosèrent toutes bruyamment, faisant vaciller le navire. Des gerbes d’eau s’élevèrent autour du mât, une épaisse fumée noire s’échappa d’une immense brèche ouverte au centre du navire. Les projecteurs s’éteignirent, et le bâtiment commença immédiatement à gîter, faisant sortir des fenêtres marins et affaires dispersées, dans le fracas et l’explosion des moteurs, munitions et les réservoirs.
[…] Une torpille est tirée de l’arrière ; à l’avant, deux tubes sont chargés ; trois torpilles de l’avant. Après trois minutes tendues, la détonation se produit sur le navire le plus proche. Il y a une forte explosion, un rugissement et un grondement. Puis viennent des colonnes d’eau, suivies de colonnes de feu, et des éclats volent dans l’air. Le port s’anime. Les destroyers sont illuminés, les signaux commencent à retentir de tous côtés, et sur la terre ferme, à 200 mètres de moi, des voitures vrombissent sur les routes. Un cuirassé a été coulé, un deuxième endommagé, et les trois autres torpilles ont pris feu. Tous les tubes sont vides. Je décide de me retirer […]13
Le HMS Royal Oak de 29 150 tonnes, dans la baie de Scapa Flow, venait d’être détruit alors qu’il ne combattait pas, faisant disparaitre avec lui l’équipage qu’il contenait à ce moment là avec plus de 833 morts parmi les 1234 membres de l’équipage. Il se mit à vaciller puis à sombrer dans la nuit froide, tout le navire disparaissant sous l’eau.

S’enfuir quoi qu’il en coûte
L’équipage de Prien voulut célébrer cette nouvelle qui allait rendre hystérique tout le pays, mais ils n’étaient pas encore rentrés : il fallait s’enfuir de la baie de Scapa Flow.
Ce moment aurait pu mal tourner, mais l’U-47 ne pensait pas qu’ils étaient repérés et qu’ils savaient qu’ils étaient rentrés à Scapa Flow car aucun navire ne les poursuivaient. Aucune lumière n’était projetée sur eux, aucune alarme indiquant un déplacement de navires en leur direction.
À 1h28, Prien ordonna la retraite à grande vitesse et les moteurs tournaient à plein régime. Il mit le cap sur Kirk Sound, par là où ils étaient entrés, empruntant à nouveau le chenal étroit au sud du Minich pour pouvoir ressortir, connaissant le chemin. Ils n’eurent pas de mal à passer les obstacles et les navires de blocage.
45 minutes plus tard, à 2h15, Prien et le U-47 sont hors de la baie de Scapa Flow, sans encombre. Ils ont maintenant la route retour à faire, mais l’épreuve de Scapa Flow est terminée : le HMS Royal Oak détruit et le HMS Repulse est endommagé. L’U-47 venait de marquer l’Histoire en détruisant dans la baie de Scapa Flow un navire de guerre, d’autant plus un cuirassé de 29 150 tonnes à quai.
Cette prouesse hors du commun marquera les esprits des membres d’équipage et marquera surtout la réputation de Prien, qui est devenu une légende de la U-Bootwaffe. L’évènement fut appris par la Kriegsmarine et le retour au port s’annonça triomphant. Ils furent accueillis en héros par tous les navires qu’ils croisaient ou du port. Prien, commandant de cette expédition, fut élevé au rang d’as des sous-marins.
« Le plus glorieux exploit jamais accompli par un sous-marin allemand »
Ils arrivèrent à Wilhelmshaven dans la matinée du 15, accueillis sur le quai par Dönitz et le grand-amiral Raeder. Dönitz remit aussitôt la Croix de Fer à chaque membre de l’équipage, et à Prien, la Croix de Fer de première classe.
Dans l’après-midi, tous embarquèrent à bord de l’avion personnel du Führer pour Berlin. Le lendemain, Hitler en personne accrocha sur la poitrine de Prien la prestigieuse Ritterkreuz – la Croix de chevalier de la Croix de Fer – saluant le raid de Scapa Flow comme « le plus glorieux exploit jamais accompli par un sous-marin allemand ». Il fut le tout premier des 7 313 récipiendaires durant la guerre.
Ensuite, ils fêtèrent dans un théatre à Berlin, devant des photographes, journalistes, toutes les familles des marins et la femme de Prien, Ingeborg.

Un évènement mondialement connu
Cette victoire fut utilisée en grande pompe par la propagande nazie, qui manquait de figures fortes pour recruter des sous-mariniers et maintenir les rangs. Tous les commandants envièrent le jeune Prien et son U-47, qui venaient de marquer l’histoire. Son histoire restera gravée comme un évènement pionnier de la guerre sous-marine et un véritable tremplin pour les futures attaques et les marins du monde entier. La base fortifiée de Scapa Flow, jugée impénétrable, n’a pas résisté au sang-froid, aux manœuvres d’un commandant aguerri et d’une date bien choisie, causant la mort et le chaos sur une île pourtant endormie.
L’évènement de Scapa Flow fit le tour du monde, et Prien décida de peindre sur le U-47 le taureau qui s’ébroue, qui deviendra son emblème, celui de son sous-marin et celui de sa flottille. Grâce à cette opération vitrine, Dönitz réussit à obtenir la validation de l’augmentation des moyens de la Kriegsmarine et le développement de la flotte de U-Boots pour continuer la guerre.
Le « Taureau de Scapa Flow » a donc tiré son nom de la grande tragédie du HMS Royal Oak et de la chance d’un petit groupe d’hommes sur un autre dans une nuit sombre et froide…
Notes infrapaginales
- Le terme « U-Bootwaffe » désigne toute la force sous-marine de la Kriegsmarine et son armement dans la guerre. Elle englobe tous les moyens sous-marins d’attaque, de défense et de ravitaillement. ↩︎
- Capitaine de vaisseau, capable de commander de petits bâtiments, en l’occurrence Prien a commandé l’U-47. ↩︎
- L’expression du « Tonnage » / « Roi du Tonnage » désigne ici à l’image du GRT la quantité de marchandises en tonnes. Kretschmer était surnommé ainsi car il l’As de la destruction de marchandises « Tonnage ». ↩︎
- GRT (Register Ton) / Tonneau / Tonnes : Également appelé jauge brute, le GRT est la capacité intérieure totale d’un navire. Pour un navire de charge, il va donner une idée de sa capacité en transport de marchandises et de combien de tonnes il peut posséder au total. Quand on parle de GRT, on fait référence aux tonnes totales que le commandant ou le navire a détruit. ↩︎
- Il existe des flottilles d’entrainement ; pour mettre à l’eau d’une part les nouveaux sous-marins ou entrainer les nouvelles recrues. Une fois entrainés, les nouveaux bâtiments entrent dans des flottilles de combat et sont officiellement en service actif, prêts à opérer dans la guerre. ↩︎
- Une meute (à lier avec les loup-gris – U-Boot) est une tactique militaire portant le nom de « Rudeltaktik » pour « tactique de meutes ». Cette tactique visait à créer des attaques de masse de plusieurs U-Boots sur un convoi ennemi. ↩︎
- HMS, ou His Majesty’s Ship (le navire de sa Majesté) est donné aux navires de la flotte britannique ↩︎
- Le tirant d’eau est la partie immergée d’un bateau en fonction de son poids. Il s’agit de toute la partie qu’on ne voit pas du bateau une fois dans l’eau. ↩︎
- La Grand Fleet est la flotte principale de la Royal Navy durant la Première Guerre Mondiale. ↩︎
- Une étale de mer est un instant entre deux marées où le niveau de la mer cesse temporairement de bouger, la rendant stationnaire et plus facilement navigable. ↩︎
- https://uboat.net/ops/scapa_flow.htm ↩︎
- http://www.u47.org/english/u47_sca.asp ↩︎
- Extrait du journal de bord de Prien durant la mission à Scapa Flow. http://www.u47.org/english/u47_log.asp ↩︎
Sources
- https://uboat.net/ops/scapa_flow.htm / https://uboat.net/boats/u26.htm
- http://mapage.noos.fr/sub-scope/artcaprien.htm
- https://donhollway.com/scapaflow/index.html
- https://uboat.net/boats/u47.htm / https://uboat.net/men/prien.htm /
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Scapa_Flow
- https://fr.wikipedia.org/wiki/HMS_Royal_Oak_(08)
- https://ww2gravestone.com/people/prien-gunther/
- https://uboat.net/men/schepke.htm / https://uboat.net/men/schultze.htm
- http://www.u47.org/english/u47_pri.asp?page=3 / http://www.u47.org/english/u47_sca.asp?page=7
- https://www.reddit.com/r/WarshipPorn/comments/1gf5ydh/the_story_of_u47_and_g%C3%BCnther_prien_the_bull_of/?tl=fr
- https://www.scapaflowwrecks.com/
- https://www.orkneymuseums.co.uk/world-war-ii-hms-royal-oak/
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