Ici, chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait quand il passe…
Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place.
Ces mots résonnent encore aujourd’hui comme un appel vibrant à la résistance, à la solidarité, au refus de la soumission. C’est surtout durant une guerre, qu’on peut y entendre des canons, des armes, des bombes, des flammes et bien d’autres sons et bruits qui donnent à l’environnement un aspect apocalyptique. Mais à côté de ça, on peut également trouver et entendre d’autres éléments qui marquent véritablement les soldats et résistants. Et en particulier durant la Seconde Guerre Mondiale, guerre de mouvement, on retrouve parmi les civils comme les résistants des territoires occupés et soumis à la volonté de l’occupant allemand l’envie de garder espoir, croire à la Victoire. Pour cela, on peut parler d’une chanson, d’un hymne qui se distingue particulièrement du reste : le Chant des partisans.
Fort de sens, puissante et crue, le Chant des partisans est au départ un chant pour les soldats soviétiques qui se battent sans relâche à l’Est, elle deviendra aussi le chant de tous les maquisards et de tous les résistants de France, jusqu’à la libération. Découvrons ce chant unique encore chanté de nos jours dans le cœur des Armées Française et qui a marqué toute la génération de combattants de l’ombre qui ont dit non à l’Occupation.
Le contexte
Pour bien comprendre, resituons nous dans l’époque et dans l’environnement où a évolué la réflexion de ce chant. Nous sommes en 1943 quand tout commence. L’Allemagne est actuellement entrain de reculer sur les fronts de l’Est et en Afrique. Stalingrad est tombé il y a de cela quelques mois et l’état-major n’arrive pas à redresser la barre. Pour autant, on ne constate pas nécessairement un revirement de situation complet qui se caractérisera plus tard, fin 1943 début et milieu 1944.
Du côté de la France, la Résistance s’invente d’elle-même. Elle se met en place, se renforce, se professionnalise fin 1942 et au début de 1943. Des Français civils ou militaires en France résistent se regroupent pour combattre l’occupant, les armes à la main, particulièrement en montagne où les caches sont plus sûres. Ils deviennent alors des résistants, ou bien des partisans aux yeux de tous, faisant d’eux les garants des valeurs de liberté et de combat en France occupée.
Cette résistance se formant, elle ne fera que grossir au fil des années, avec De Gaulle en Grande-Bretagne et Jean Moulin en France qui pilotent les différents réseaux et deviennent les principaux cerveaux des opérations. Cette résistance a été armée par les Alliés et est en première ligne pour aider l’atterrissage de personnes clandestines, le sabotage, les assauts et les embuscades : tout ce qui peut déstabiliser la logistique et l’armée allemande.
Le chant des partisans est dédié à eux, mais aussi à tous les derniers remparts d’une société effondrée : le chant nous en parle. Mais n’allons pas trop vite, car c’est surtout grâce à une femme que l’hymne a pu exister : Anna Marly
Anna Marly, l’autrice
Anna Marly, à l’origine du chant, est d’origine russe. Elle a vécue son enfance en Russie, mais elle a dû fuir en 1921 avec sa mère, sa sœur et sa gouvernante car son père a été fusillé. Elle trouve refuge en France dans les Alpes-Maritimes, à Menton. La jeune Anna prend ses marques, commence à s’habituer à la vie française qui lui change tous ses repères. À l’âge de 13 ans, elle reçoit une guitare, un instrument qui révèle sa vocation musicale : elle veut faire de la musique. Alors elle écrit et s’améliore au fil des années.
En 1939, elle épouse le baron Van Doorn. Le couple quitte la France au début de la guerre en 1939 pour rejoindre l’Angleterre et s’assurer un avenir différent. À Londres, Anna Marly ne s’arrête pas au chant qui la passionne, elle s’engage tôt comme cantinière au sein des Forces françaises libres (FFL), avant de mettre peu à peu son talent musical au service de la Résistance. Elle fera des représentations et des spectacles pour les soldats, se produira sur scène : c’est le début de son épopée musicale et artistique.

Les origines du chanson partisanne
En 1941, après avoir lu un article sur le rôle des partisans soviétiques dans la bataille de Smolensk, en URSS, elle est profondément traumatisée et bouleversée : elle veut parler de ce qu’elle a lu et sait, comme si c’était un objectif viscéral. Elle ressent pour ses dernières forces d’un pays qui défend sa patrie un profond raccord. Elle fait de suite une allusion à la lutte du peuple civil contre l’armée allemande qui fait rage dans son pays et remarque que c’est toujours d’actualité et qu’il faut continuer à se battre. Et un mot la marque véritablement : le mot “partisan”, qui selon elle, en Russie, sont le dernier rempart de la patrie menacée. » Ils représentent le dernier échelon de secours, le dernier cri d’un pays pour se sauver et elle compte bien exprimer toutes ses idées sous format musical.
Elle commence alors la rédaction de cette musique qui rendra hommage à ces partisans là et à tous les autres également….
La Marche des partisans
La première version de la chanson, aboutie sur un titre intitulé Marche des partisans, écrite en russe. Anna Marly l’interprète à plusieurs reprises sur scène là où elle se produit. Elle est aussi sur les ondes, comme à la BBC, où elle rencontre un succès important qui la fit connaître du grand public. Plus tard, en 1942, elle joue pour la première fois la Marche des partisans lors d’une soirée à laquelle assiste Emmanuel d’Astier de la Vigerie, écrivain et journaliste ayant rallié l’Angleterre après avoir traversé l’Espagne.
Séduit et immédiatement intéressé par la force de la mélodie, il propose la chanson à André Gillois, résistant et animateur de radio, qui cherche alors une musique sonore pour son émission Honneur et Patrie, diffusée sur la BBC de 1940 à 1944. Cette musique s’avérera parfaite pour ce rôle et c’est ainsi qu’elle entre dans la Résistance, d’abord comme une musique simple parmi tant d’autres.
La Marche des partisans est une musique moulée dans la guerre, dans les mots et dans l’histoire. Il s’agit là d’une mélodie sifflée octroyant à la Marche des partisans l’avantage d’être facilement reconnaissable, même en cas de brouillage ou de destructions des lignes par les Allemands. Elle a un rythme entêtant. Conscient de la puissance de ce chant, Emmanuel d’Astier de la Vigerie met Anna Marly en contact avec Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon, tous deux écrivains et tout juste arrivés à Londres pour rejoindre la Résistance. Kessel et Druon écrivent alors de nouvelles paroles, faisant évoluer et enrichir le texte.
Réécriture de la Marche des partisans
Car oui la musique est bien, mais elle sera réadaptée, et après quelques ajustements apportés aux paroles, Emmanuel d’Astier de la Vigerie emporte la chanson avec lui lors de son parachutage clandestin en France, en juillet 1943. C’est ainsi que le chant des partisans fit son apparition. En septembre, le texte paraît dans le tout premier numéro de la revue clandestine Les Cahiers de Libération qui est relativement connu à l’époque : le chant ne cessera d’être repassé en boucle et les paroles publiées dans le journal comme un acte de résistance. L’acte est contre l’occupant et rien que cet acte de liberté montre la force de la musique dans un contexte de restriction plus sévère que jamais plus les années avancent.
Dans chaque écoute ou publication, aucun nom d’auteur n’y figure : ni celui d’Anna Marly, ni ceux de Joseph Kessel ou Maurice Druon. Ce choix délibéré d’Emmanuel d’Astier visait à préserver l’anonymat de l’œuvre afin qu’elle puisse devenir une chanson collective, adoptée par tous et éviter de potentielles représailles suite aux double sens et aux sous-entendus.
Décryptage du chant
Si on regarde plus en détail le chant, peut y comprendre différentes choses. Car dans chaque phrase du chant, on peut y retrouver des éléments caractéristiques de la situation allemande et de la manière de travailler des partisans face à l’occupant.
Demain, du sang noir séchera au grand soleil sur les routes.
Présage une fusillade, un acte d’embuscade face à un occupant, des morts…
[…] entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?
Peut faire rappeler l’Occupation et la nazification croissante et continue de la France
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes…
Au même titre que ce que vit les résistants, la haine et le combat est présente dans chaque partie du front
Sortez de la paille, les fusils, la mitraille, les grenades…
Peut laisser penser que les partisans sont armés, sont partout ou tout le monde peut en être un en toute discrétion
On retrouve bien d’autres liens avec la guerre, mais elle peut être aussi interprétée selon le contexte car on ne retrouve pas d’éléments distinctifs marquants de l’environnement proposé : c’est toute la puissance du chant.
Mais à l’époque, peu de personnes ont accès à cette publication qui va révolutionner plus tard ce qu’on découvrira de la Résistance. Malgré la diffusion de la mélodie sur les ondes de la BBC et l’impression des paroles sur des tracts largués par la Royal Air Force, Le Chant des partisans reste relativement peu connu du grand public et donc peu de personnes s’y identifient. Le chant doit encore s’imposer dans les esprits : c’est ce qui arrivera plus tard, quand les résistants et les partisans, après le débarquement en Normandie par exemple, s’autorisent à proclamer plus que jamais auparavant la libération à venir, mais toujours dans la discrétion de comité.
Le chant des partisans
Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?
Ohé ! partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme !
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes…Montez de la mine, descendez des collines, camarades
Sortez de la paille, les fusils, la mitraille, les grenades…
Ohé ! les tueurs, à la balle ou au couteau tuez vite !
Ohé ! saboteur, attention à ton fardeau… dynamite !C’est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères,
La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère…
Il y a des pays où les gens au creux du lit font des rêves
Ici, nous, vois-tu nous on marche et nous on tue, nous on crève…Ici, chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait quand il passe…
Anna Marly
Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place.
Demain, du sang noir séchera au grand soleil sur les routes.
Sifflez compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute…
Icône de la Résistance
Alors il faut attendre la Libération, puis la fin de la guerre, pour que le chant gagne en notoriété et devienne un véritable hymne populaire connu et reconnu de tous. On l’appelle également l’hymne de la Résistance. Mais le Chant de la Libération pris de l’ampleur à ce moment de joie, devenant rapidement celui des partisans, ainsi qu’un signal de reconnaissance dans les maquis. Il se répandit en France très largement, mais aussi partout où des hommes luttaient pour leur liberté.

Mais ce chant est surtout universel ; il touche chaque génération et chaque combat, comme s’il portait une émotion empreint d’espoir. On retrouve de nos jours cette chanson dans toutes les cérémonies importantes, qui casse avec la modernité d’aujourd’hui et nous rappelle le chemin parcouru et toute l’émotion d’être libre et libéré des griffes du totalitarisme et du nazisme.
Sources
- https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/la-genese-de-la-creation-du-chant-des-partisans
- https://www.lozere.gouv.fr/content/download/6822/43454/file/le_chant_des_Partisans.pdf
- https://www.radiofrance.fr/francemusique/l-histoire-meconnue-du-chant-des-partisans-1356041
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