La bataille étonnante du château d’Itter du 4 et 5 Mai 1945

GéolopolitiqueHistoire

En mai 1945, l’euphorie de la fin imminente du Reich et de la guerre a mené à des réactions humaines bien étranges, voire disproportionnées pour être du côté des vainqueurs ou limiter son implication dans les heures sombres des combats. Mais cette fin imminente a également amené des changements de comportements dans les rangs allemands, pourtant bien endoctrinés durant la guerre. C’est précisément le cas pour une bataille jugée absurde ou totalement incompréhensible : la bataille du château d’Itter en Autriche.

Cette bataille opposa les Alliés, les membres de la résistance autrichienne et les quelques prisonniers français, épaulés par la Wehrmacht (l’armée régulière allemande) contre les unités farouches de la Waffen-SS, la branche armée de la SS d’Himmler qui a une sinistre réputation sur le front. On retrouve donc 2 armées auparavant allié devenus le temps d’une bataille ennemis pour le sauvetage de personnalités françaises importantes. C’est donc tout un autre point de vu que nous allons découvrir et surtout un combat qui étonna plus d’un historien.

Contexte de l’Allemagne en 1945

Notre évènement prend place à la toute fin de la Seconde Guerre Mondiale, à l’aube de la capitulation totale. L’Allemagne est à feu et à sang, elle est défaite sur tous les fronts, sur toutes les zones de guerre. Toutes les troupes se rendent et en particulier les divisions Waffen-SS qui se battent jusqu’à la mort et ne cessent de continuer de combattre malgré le suicide de nombreux dignitaires et une situation totalement désespérée. Ils veulent retarder l’avancée de l’ennemi en faisant payer les Russes en particulier le plus possible, jusqu’à réaliser des massacres d’une cruauté sans nom. L’armée allemande va devoir payer le prix de la défaite et subir la honte et le sang, qu’ils soient capturés par les Soviétiques ou les Russes qui vont leur faire payer ce qu’ils ont subi. Mais on remarque surtout dans les moments décisifs que des poches de résistance résistent encore.

Car oui, même si la Wehrmacht n’a plus d’état-major en état de combattre, le combat sur le front continue tout de même et la loi du plus fort gagne pour diriger dans les différentes unités et divisions. Les poches sont encore visibles sur les cartes mais les principaux dirigeants encore vivants, comme Dönitz qui a été nommé par Hitler pour lui succéder ou les maréchaux Keitel et Jodl sont trop occupées à limiter les dégâts, à l’instar d’Hitler, d’Eva Braun, de Goebbels, Himmler et les autres dirigeants qui se sont suicidés ou enfuis fin avril.

On retrouve donc des zones à dénazifier et en particulier une poche dans le tyrol autrichien avec de petites maisons et de petits villages, dans le village d’Itter, qui n’a pas encore été libéré par les Alliés : c’est là qu’on y trouve le Château d’Itter.

Le Château d’Itter

Dans une Autriche occupée depuis 1938 et bien nazifiée, le château d’Itter trône dans le petit village d’Itter et ses moins de 1 000 âmes, dans le district de Kitzbühel dans le Tyrol. Ce château sur une petite butte est un château fort typique construit certainement aux premières heures de la Bavière aux environs du 10ème siècle pour servir de tribunal et de lieu de pouvoir tout le long de l’époque médiéval jusqu’à contemporaine. La ville et son château furent vendus au 19ème siècle, rachetés par la suite. Le château fut alors rénové par ses propriétaires pour accueillir un style néogothique au début du 20ème siècle.

Plus tard, l’Anschluss eut lieu, provoquant l’occupation de l’Autriche par l’Allemagne Nazie. Le château d’Itter fit occupé par le Reich et fut loué à Franz Grüner, qui se fit réquisitionner ce dernier par le SS Oswald Pohl, d’ordres directs de Himmler. Il intéressa de suite les autorités grâce à sa localisation au milieu de la campagne et l’aspect fortifiée d’antan du château fort qui garantit une certaine protection naturelle.

Un lieu de détention de l’Allemagne Nazie

Alors le château en avril 1943 devint un lieu parfait pour un lieu de détention, une prison, principalement pour des personnalités françaises capturées et emprisonnées, jugées essentielles. Bien qu’il fût administrativement rattaché au camp de concentration de Dachau, les conditions de détention y étaient bien différentes. La surveillance était assurée par un petit détachement de SS, de la SS-Totenkopfverbände (unités pour le système concentrationnaire) de Dachau, facilité par la position stratégique du château, perché sur un promontoire rocheux à flanc de colline.

Le service intérieur était assuré par un Kommando de femmes déportées, détachées du camp principal de Dachau, ainsi que par quelques hommes, eux aussi transférés depuis ce camp. Ils gèrent les lieux et assurent la sécurité, que les détenus ne s’évadent pas et que les lieux restent discrets.

Mais l’avancée Alliée est fulgurante, inévitable pour la Wehrmacht et la Waffen-SS qui ne font que reculer dans la profondeur même du territoire du Reich. C’est alors que le lieu va se transformer en place forte et en zone incontournable à libérer pour les Alliés qui sont entrés en mai 1945 en Bavière. C’est donc ce fameux commando SS protégeant les lieux qui fera l’objet de cette histoire folle et le château sera le champ de bataille de notre histoire.

Les personnalités emprisonnées

On retrouve dans les geôles du château des noms importants de la vie politique et sociale française :

  • Edouard Daladier, homme politique français qui fut déporté au camp de Buchenwald puis ensuite au château d’Itter
  • Paul Reynaud, homme politique français, arrêté par le Maréchal Pétain et livré aux Allemands, fut envoyé au camp de Sachsenhausen puis au château d’Itter.
  • Marie-Agnès de Gaulle, résistante et sœur du général de Gaulle qui dirige la France libre
  • Michel Clemenceau, fils de Georges Clemenceau qui a gouverné la France pendant la Première Guerre Mondiale
  • Léon Jouhaux, le dirigeant syndical aux multiples manifestations en France

Enfermés, les prisonniers sont souvent en attente d’interrogatoires ou en simple détention, à l’écart des camps nazis. Bien d’autres noms du paysage français sont incarcérés en mai1945 dans le château d’Itter, qui devient véritablement un lieu clé à libérer.

4 mai 1945, la bataille du château d’Itter

La lettre de Čučković et l’aide américaine

Mais le 2 mai tout changea, car les Américains sont tous proches, dans les villages voisins. Le camp de Dachau devenant une cible évidente, il devient vulnérable et les Alliés sont tous proches. Cette occasion ne passa pas inaperçue, car un détenu prétextant une course pour le commandant du camp se voit autorisé de sortir de ce dernier. Ce détenu est le jeune résistant yougoslave Čučković qui travaillait comme homme à tout faire à la prison, avec une lettre écrite, parti chercher de l’aide vers Innsbruck, un peu plus loin, où il réussit à trouver et à contacter les troupes américaines de la 103e division d’infanterie qui étaient stationnées.

Le prisonnier apprend aux soldats que des prisonniers de haute valeur sont enfermés dans le château non loin d’eux et qu’ils ont besoin d’aide. Le détachement n’ayant pas prévu cet objectif initialement, demande l’autorisation du commandement, qui accepte par la suite. Suite à cela, un convoi blindé américain est organisé à l’aube pour sauver les prisonniers, mais il est stoppé par des bombardements près de Jenbach puis rappelé car il empiète sur le secteur d’une autre division, de la 36e division américaine. De ce fait, seules deux jeeps de personnel auxiliaire poursuivent vers le château pour procéder à cette mission peu commune. L’aide américaine est donc en route.

Les SS quittent le château d’Itter en catastrophe

Pour le moment, au château, c’est le branle-bas de combat : le chef du château s’enfuit, le commandant SS se suicide, Les gardes SS, eux, quittent le château, laissant les prisonniers français seuls, qui s’arment avec les restes d’armes qu’ils restent encore, mais redoutent une attaque de SS errants dans les couloirs. Le château se transforme en une vraie zone de guerre où les prisonniers participent aux combats.

Mais cette résistance des détenus ne risque pas de tenir très longtemps, alors un détenu part du côté des villages libérés, en particulier, Wörgl, où il parvient à contacter par la même occasion la résistance autrichienne, menée par Rupert Hagleitner et le major Josef Gangl, ancien officier de la Wehrmacht et héros allemand, ayant rejoint la résistance avec les restes d’une unité de soldats qui avait défié l’ordre de retraite de leur commandement.

Josef Gangl
Rupert Hagleitner

Car les soldats SS de la Waffen-SS ont durant ce laps de temps encerclé le château dans le but de reprendre ce qu’ils ont perdu. Un groupement de soldats d’une armée cruelle contre des prisonniers sous équipés est profondément déséquilibré, mais c’est sans compter sur la demande du Čučković que des renforts arriveront peut être les délivrer.

Gangl de la Wehrmacht rencontre les Américains

La situation est tendue et le but était pour protéger à tout prix les civils du village comme du château des représailles SS. C’est pour cela qu’il faut agir vite et c’est ce que va faire le major Gangl qui est techniquement adversaire des Alliés. A son échelle, Gang essayait de dissuader les Waffen-SS de venir et cherchait à maintenir la présence de la Wehrmacht dans la ville pour les assurer de la protection des civils.

Il a donc, au péril de sa vie, fait chemin jusqu’à eux avec un drapeau blanc et réussit à prendre contact avec le lieutenant Jack Lee, à Kufstein (13 km au nord), avec quatre chars Sherman du 23e bataillon de chars (12e division blindée). Gangl expose sa demande de protéger les civils des SS qui font rage et détruisent tout sur leur passage en allant aider les prisonniers du château, qui se font actuellement encercler et risqueront de ne pas tenir longtemps.

Lee, conscient de la demande, accepte la mission et part avec Gangl faire une reconnaissance du château : nous avons donc une alliance de circonstance entre les Alliés et la Wehrmacht contre la Waffen-SS qui ne le sait pas encore, comme il n’était jamais arrivé dans l’histoire. Le château devient alors un objectif majeur et le but principal était de sauver les prisonniers de l’attaque des hommes de Bochmann.

La préparation de l’assaut du château d’Itter

Le 4 mai, tout est prêt pour réaliser la mission de sauvetage. Mais tout ne va pas se passer comme prévu au moment d’arriver et ça sera le terrain tyrolien qui fera défaut. En raison d’un pont trop fragile, le capitaine Lee ne pouvait que faire passer une partie de ses troupes, dut renvoyer ses renforts et continua avec seulement 14 soldats américains et un Sherman (l’autre étant resté en arrière). Ils accédèrent au château, étant accueillis en héros par les prisonniers français qui n’attendaient qu’un secours.

Du côté de Gangl, il vient avec un chauffeur et 10 anciens artilleurs allemands à ses côtés. Mais alors qu’ils ne sont même pas encore au château, à environ 6 km, ils repoussèrent un groupe de SS tentant de faire un barrage routier, déconcertant pour des anciens camarades. Lee mit tout en place, déploya ses hommes en défense et plaça son char Besotten Jenny à l’entrée. On retrouve donc retranché dans le château d’Itter les prisonniers français en arme, la Wehrmacht et l’armée Américaine tentant de contrer une attaque imminente d’une centaine de soldats de la Waffen-SS, décidemment résolue à tuer et tout détruire.

La bataille du château d’Itter

Alors que les forces de Lee s’organisaient, une centaine de soldats de la Waffen-SS, sous le commandement du sinistre SS Georg Bochmann, lancèrent l’assaut sur le château. Les prisonniers français, malgré l’ordre de se cacher, prirent part au combat aux côtés des soldats américains, de la Wehrmacht fidèle à Gangl et de l’officier SS Schrader, qui avait même installé sa famille dans le château.

Durant la nuit du 4 au 5 mai, les assiégeants harcèlent les défenseurs, sondant les points faibles de la forteresse pour s’y engouffrer. Gangl réussit à passer un appel au chef de la résistance de Wörgl, Alois Mayr, mais seuls deux soldats allemands et un adolescent autrichien, Hans Waltl, peuvent venir en renfort au château pour prêter main forte : trop peu pour maintenir la pression constante et les coups des soldats de la Waffen-SS.

Le 5 mai au matin, l’attaque principale débuta. Le château fut violemment bombardé : les murs tremblaient, des briques s’effondraient, blessant l’épouse de Schrader. Le char Sherman « Besotten Jenny », assurant la couverture à l’aide de sa mitrailleuse, fut détruit par un canon de 88 mm, mais son opérateur radio survécut miraculeusement permettant de faire gagner de précieuses secondes aux soldats retranchés. Les combats sont durs et l’ambition commune des américains et des allemands pour sauver les prisonniers permet certainement de gagner du temps avant l’arrivée de potentiels renforts américains sur le château.

Itter castle bataille

L’arrivée de l’aide tant attendue

C’est uniquement quelques heures plus tard, en début d’après-midi du 5 mai que la 142e division américaine apprend enfin la situation critique au château et des divisons en présence du capitaine Lee. Les communications ayant été coupées, le capitaine Lee accepte que Jean Borotra, ancien champion de tennis et prisonnier, s’évade pour alerter les renforts et à l’image de Čučković quelques jours plus tôt, chercher de l’aide. Le tennisman dépasse non sans dangers les lignes ennemies. Borotra réussit à transmettre l’appel à l’aide directement jusqu’aux divisions autours et ramène l’aide militaire tant voulue vêtu d’un uniforme américain en rejoignant les troupes du 142e en route vers le château.

Ce n’est que vers 15-16h00 que les renforts arrivent sur place et prennent en compte la situation étrange. L’attaque de la Waffen-SS pourtant agressive sur le château ne résiste pas bien longtemps à toutes les forces américaines en présence et est rapidement repoussée, faisant une centaine de soldats ennemis prisonniers. Malheureusement, le major Gangl de la Wehrmacht est la seule victime de cette bataille avec 4 autres seulement blessés, en essayant de sauver l’ancien premier ministre autrichien Paul Reynaud d’une mort certaine.

Les résultats de la bataille du château d’Itter

Le soir même de cette bataille, les prisonniers français sont évacués et atteignent Paris le 10 mai 1945, quelques jours après la fin des combats. L’évènement fut salué par les Alliés comme une grande réussite. Le capitaine Lee fut décoré de la prestigieuse Distinguished Service Cross pour ses actes de bravoure durant la défense de ce château haut combien important.

On retiendra de cette bataille l’étonnante alliance du major Gangl qui a placé les intérêts des civils et des prisonniers avant l’intérêt de la guerre et des ordres qui lui avaient été donnés, du capitaine Lee qui a mené à bien ce sauvetage et surtout à la coopération d’hommes différents pour le seul objectif de protéger les civils.

Sources

  • https://dkesslerblog.wordpress.com/wp-content/uploads/2016/10/the-strangest-battle-of-wwii_1.pdf
  • https://en.wikipedia.org/wiki/Battle_of_Castle_Itter
  • https://de.wikipedia.org/wiki/Schloss_Itter
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_ch%C3%A2teau_d%27Itter
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_d%27Itter
  • https://fr.topwar.ru/245905-boj-u-zamka-itter-odno-iz-samyh-strannyh-srazhenij-vtoroj-mirovoj-vojny.html


En savoir plus sur Acta Equitum

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *